mardi 30 août 2011

Yasmina Khadra : L'ATTENTAT, Julliard, 2005


Sans jeu de mots, ce roman, vous explose en pleine figure ! Khadra lance son personnage principal à la poursuite de l'incompréhensible : comment une femme, SA femme, pas spécialement pratiquante, peut se transformer en bombe humaine et se faire éclater au milieu d'un groupe d'enfants en plein Tel-Aviv ?

L'auteur n'a pas choisi la facilité, car il se refuse à céder aux schémas préétablis, aux idées toutes faites et à l'enfermement des gens dans des catégories standardisées.
Le JE du roman est un chirurgien palestinien qui a choisi de s'installer à Tel Aviv et de s'intégrer à la vie israélienne au point d'en prendre la nationalité et d'oublier ses origines et surtout d'ignorer la situation de ses compatriotes, de l'autre côté du mur.  Un peu comme si le fait de sauver des vies à longueur de journée, l'en dédouanait. Il faut croire que ce n'est pas le cas de sa femme !

"Le capitaine Moshé et ses assistants me tiennent en éveil vingt-quatre heures d'affilée. Les uns après les autres, il se relaient dans la pièce sordide où se déroule l'interrogatoire. Cela se passe dans une sorte de trou à rat au plafond bas et aux murs insipides, avec une ampoule grillagée au-dessus de ma tête dont le grésillement continu est en passe de me rendre fou. Ma chemise trempée de sueur me ronge le dos avec la voracité d'un bouquet d'orties. J'ai faim, j'ai soif, j'ai mal et nulle part je ne vois le bout du tunnel. On a dû me porter par les aisselles pour m'emmener pisser. J'ai vidé la moitié de ma vessie dans mon caleçon avant que je parvienne à ouvrir la braguette. Pris de nausée, j'ai failli me casser la figure sur le bidet. On m'a carrément traîné en me ramenant dans ma cage. Ensuite, de nouveau le harcèlement, les questions, les coups de poing sur la table, les petites gifles pour m'empêcher de tourner de l'oeil.
Chaque fois que le sommeil fausse mon discernement, on me secoue de la tête aux pieds et on me soumet au zèle d'un officier frais et dispo. Les questions sont toujours les mêmes. Elles résonnent dans mes temps comme de sourdes incantations."

Convaincus de sa non implication dans l'attentat, il est relâché et c'est là qu'il décide de passer le mur, au sens propre et figuré. Il se rend dans les territoires occupés à la recherche des dernières personnes que sa femme a rencontrées, à la recherche de ceux qui l'ont poussée à commettre l'innommable.  

Et là, le roman bascule dans ce qui devient un retour sur soi, une recherche de ses origines, de son identité profonde. Il cherche, non sans mal à approcher des responsables islamistes, des imams au prêche vaindicatif. Il est trimbalé, d'une faction à une autre, menacé de mort, car soupçonné d'être un espion du Shin Beth. Et puis lorsqu'il obtient finalement un entretien :

"(...) - Tu voulais rencontrer un responsble de notre mouvement. C'est fait. Maintenant, tu vas rentrer à Tel-Aviv et tirer une croix sur cette entrevue. Autre chose _ personnellement, je n'ai pas connu ta femme. Elle n'agissait pas sous notre bannière, mais nous avons apprécié son geste.
Il lève sur moi des yeux incandescents.
- Une dernière remarque, docteur. A force de vouloir ressemble à tes frères d'adoption, tu perds le discernement des tiens. Un islamiste est un militant politique. Il n'a qu'une seule ambition : instaurer un Etat théocratique dans son pays et jouir pleinement de sa souveraineté et de son indépendance... Un intégriste est un djihadiste jusqu'au-boutiste. Il ne croit pas à la souveraineté des Etats musulmans ni à leur autonomie. Pour lui, ce sont des Etats vassaux qui seront appelés à se dissoudre au profit d'un seul califat. Cr l'intégriste r'eve d'une ouma une et indivisible qui s'étendrait de l'Indonésie au Maroc pour, à défaut de convertir l'Occident à l'islam, l'assujettir ou le détruire... Nous ne sommes ni des islamistes ni des intégristes, docteur Jaafari. Nous ne sommes que les enfants d'un peuple spolié et bafoué qui se battent avec les moyens du bord pour recouvrer leur patrie et leur dignité, ni plus ni moins.
(...) Quelle vérité tu veu connaître, docteur Amine Jaafari ? Celle de l'Arabe qui pense qu'avec un passeport israélien il est sorti de l'auberge ? Celle du bougnoule de servie par exellence que l'on honore à tout bout de champ et que lon convie à des récepitons huppées pour montrer aux gens combien on est tolérant et attentionné ? Celle de quelqu'un qui, en tournant sa veste, croit retourner sa peau et réussir la plus prfaite des mues ? c'est cette vérité que tu cherches ou est-ce celle-là même que tu fuis ? "
La quête du Dr. Jaafari reste presque jusqu'au bout, une quête personnelle : "Comment a-t-elle pu me trahir ?", mais l'Histoire, celle avec un grand H, le rattrape alors qu'il est dans son village natal.

C'est un très beau roman, qui se lit d'une traite, qui nous raconte différemment une histoire que l'on voit, trop souvent, dans les journaux télévisés.

3 commentaires:

  1. J'avais été très perturbée à la lecture de ce livre.
    Qui sont réellement les gens qui vivent à nos côté?

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  2. "A force de vouloir ressemble à tes frères d'adoption, tu perds le discernement des tiens."
    Une phrase qui m'a beaucoup touchée.
    Cette recherche identitaire - ses stratégies, ses limites - est très bien décrite dans un ouvrage intitulé "Stratégies identitaires", de Carmel Camillieri.
    C'est un ouvrage qui a une dizaine d'années et qui évoque parfaitement les difficultés pour "se trouver", entre culture d'origine et culture d'adoption, mais aussi les chemins pour y parvenir...

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  3. C'est un livre magnifique en effet, on est très impliqué très affecté à la lecture du texte. J'ai beaucoup aimé aussi du même auteur "Les hirondelles de Kaboul". Merci pour cet intéressant billet.

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