lundi 27 août 2012

Zakhar Prilepine : DES CHAUSSURES PLEINES DE VODKA CHAUDE, Actes Sud 2011


Dans ce recueil de onze nouvelles, Zakhar Prilepine nous raconte une société à la dérive, noyée dans l'alcool, seul refuge d'une jeunesse désorientée et souvent désoeuvrée.

D'une nouvelle à l'autre le narrateur pourrait être le même, comme si Pripeline avait sorti d'une boîte les photos d'un type et aurait décidé de nous raconter le même bonhomme à différents moments de sa triste existence. 

Ce qui m'a le plus frappée, c'est la violence inhérente aux situations dans lesquels il plonge ses protagonistes, violence des relations entre les hommes et les femmes, violence de l'indifférence face à la mort - que ce soit la sienne ou celle des autres - violence d'une vie sans espoir, sans plaisir, si ce n'est celui d'être saoul.

"Je ne me souviens plus pour les autres, mais moi j'étais tombé durement dans cet état rare et étonnant, lorsque chaque nouveau verre vous dégrise, et que l'on boit alors sans s'arrêter, attendant, goguenard, d'être enfin abattu par l'ivresse comme un bout de bois."

Mais si l'atmosphère générale qui se dégage m'a  immanquablement fait penser à "Taxi Blues" de Lounguine, c'est un peu comme si - depuis près de 20 ans que le film a été tourné et une guerre en Tchétchénie après - une certaine jeunesse russe se soit habituée à l'absurdité de la vie qui lui est proposée, et que cela ne l'empêche pas - et peut-être au contraire la pousse - à cultiver l'amitié, un peu comme un dernier rempart avant le désespoir.

"Nous rentrions chez nous, nos fronts effleurant parfois les vitres immanquablement sales, au printemps, des navettes périphériques, nous regardions nos reflets dans les vastes espaces russes. Personne n'était triste, au contraire. Chacun souriait à ses propres pensées : l'un à la tendresse qu'il avait trouvée, au goût et au parfum généreux; l'autre à la senstation de la dernière neige de l'année, tiède contre sa tempe; et le troisième, on ne sait pas à quoi.
...On ne sait pas, on ne sait pas, on ne sait pas à quoi".

Le style, comme vous pouvez en juger, est direct mais ne manque pas de poésie, notamment dans le rythme des phrases. 

Un auteur que je vais suivre, car contrairement à beaucoup de jeunes auteurs, celui-ci a vraiment quelque chose à dire et en plus, il le dit bien.

mercredi 22 août 2012

Vassilis Alexakis : LE PREMIER MOT, Gallimard, 2010



Dans ce roman, Vassilis Alexakis renoue avec sa passion des mots, de la langue et de la communication entre les êtres. 

Peu avant de mourir, Miltiatis, Professeur  à la Sorbonne d'origine grecque, confie à sa soeur son regret : il n'a pas encore découvert, quel a été le premier mot prononcé par l'humanité. 

Celle-ci, se met en devoir de le trouver et n'aura de cesse, de questionner ses anciens amis, éminents chercheurs ou simples quidams. Et l'on assiste alors à un florilège, assez érudit il faut le dire, d'hypothèses vraisemblables ou fantasques que l'on peut émettre, au vu des connaissances actuelles de la science, qu'elle soit anthropologique, psychologique, neurologique et j'en passe. Cela peut vous sembler rébarbatif, mais bien au contraire, l'humour n'y manque pas. 

Mais, et c'est là la force d'Alexakis, il n'oublie à aucun moment le fait qu'il écrit d'abord un roman. Et c'est un roman à la gloire de l'amour qui peut lier un frère et une soeur, amour fait de complicité, d'admiration respective, et de souvenirs remontant à l'enfance. Un lien si fort que, malgré la mort, le dialogue se poursuit, comme si Miltiadis vivait encore.

"...J'ai décidé de jeter un premier coup d'oeil aux tiroirs du bureau. J'ai commencé par celui du milieu.
- Il faut bien que quelqu'un fasse ce travail, n'est-ce pas ?
- C'est vrai, a admis mon frère.
Mais l'instant d'après, je l'ai entendu maugréer :
- Les morts n'ont droit à aucune intimité
- Je m'arrête, si tu veux, lui ai-je proposé.
J'étais en train de feuilleter plutôt distraitement son agenda, qui m'a rappelé son amour pour le football et pour l'opéra. Il avait vu le match France-Argentine chez son ami François, le libraire, et l'Elixir d'amour de Donizetti à l'Opéra Garnier.
- Non, non, a-t-il dit, tu peux continuer".

Parallèlement à sa quête du premier mot, sa soeur sent le besoin d'écrire et plus précisément de raconter les trois jours qu'elle a passés avec son frère, une semaine avant qu'il ne meure. Et là aussi on retrouve un des caractères d'Alexakis, cette capacité qu'il a de nous parler de son "métier" et de la réflexion qui l'accompagne tout au long du travail d'écriture :

"Je n'arrive pas à réfléchir quand je n'écris pas. Je m'assieds sur le canapé, je ferme les yeux et je me dis : "Je vais réfléchir à présent." Mais au bout d'une heure, force m'est de constater que je n'ai pensé à rien. Le crayon que je tiens m'aide à me concentrer, à me vouer à un sujet.
(...) Depuis quelques temps, j'éprouve le besoin de confier à quelqu'un que j'écris un texte sur mon frère. Ce récit, je l'ai déjà noté, a pris une importance considérable pour moi, il ne me tient pas seulement compagnie, il est devenu ma nouvelle adresse. Je n'en ai rien dit à Aliki car je suis sûre qu'elle voudrait le lire, mais j'en ai parlé à Bouvier.
- Vous avez raison d'écrire, m'a-t-il dit. Les mots comprennent mieux nos peines que nos joies. Ils ont quelque chose de mélancolique, vous ne trouvez pas ?"

Un roman intéressant, donc, aux personnages attachants qu'on ne lit pas forcément d'une traite, mais qui nous tient en haleine.

jeudi 9 août 2012

Grégoire Delacourt : LA LISTE DE MES ENVIES, JCLattès, 2012


Encore un livre qui n'aurait pas retenu mon attention s'il ne m'avait été offert par l'une de mes hôtes à son départ.

Je ne connaissais pas le nom de cet auteur, Grégoire Delacourt, mais comme il a publié son premier roman en 2011, cela n'a rien d'étonnant, pour moi qui suis un peu éloignée des librairies.

Je me suis donc lancée dans cette lecture tout à l'heure, au moment de la sieste, et vu le contenu, je ne suis pas trop surprise de l'avoir déjà fini. 

Que dire ?  Une histoire banale (une mercière de 47 ans gagne au loto), peu crédible, vite écrite, vite lue.  Une tentative de "dramatisation", puisque la dadame en question, satisfaite de son petit train train, décide de ne pas toucher la somme gagnée et se contente de faire des listes de ses envies. Mais elle doit être bien trop flattée d'être passée au rang de premier rôle de ce qui ne ferait même pas un bon scénario, pour tenter de les concrétiser, ses envies ! Et puis, au moment où elle se décide, c'est trop tard...

C'est un roman vide. A aucun moment Grégoire Delacourt arrive à nous faire croire qu'il est capable d'entrer dans la peau d'une femme. Il ne s'agit pas de sauter sur l'une de nos petite manies (faire des listes) pour devenir une femme. Mais plus grave, même son personnage masculin est une esquisse sans matière. 

A lire que si vous avez deux heures à perdre, mais le résultat  est garanti : elles seront perdues !

mercredi 8 août 2012

Jorge Amado : LE VIEUX MARIN, Stock, 1978


Je reste en Amérique latine, plus précisément au Brésil, et je retrouve Jorge Amado avec un très grand plaisir.

Le vieux marin, c'est ce capitaine au long court qui s'installe dans les années 1930 dans le  quartier de Periperi à Salvador de Bahia, quartier habité en grande majorité par d'anciens fonctionnaires à la retraite.

Le narrateur, se fait fort de découvrir la vérité (celle qui est toute nue au fond d'un puits) et de démêler la brouille qui ne tarde pas à diviser la communauté, au sujet de la personnalité et du titre du Commandant Vasco Moscoso de Aragon.

"J'avoue que la malveillante campagne, fille de l'envie et du dépit, que déchaîna Chico Pacheco contre le commandant ébranla un peu mon admiration, auparavant inconditionnelle, pour la figure sans pareille du héros. Quelques-une de ses aventures, examinées à la lumière de la critique impitoyable de l'ex-contrôleur des contributions, me semblent un rien exagérées. Je ne dis pas ça pour influencer l'opinion, je me place ici en historien impartial et, si j'en parle, c'est que j'ai éprouvé un certain agacement à voir les retraités et retirés des affaires accorder si peu d'importance aux observations et commentaires de Chico Pacheco, être restés à tel point solidaires du commandant."

Il faut dire que le commandant ne recule devant aucun effet et ne cesse d'abreuver ses nouveaux "amis" avec des aventures toutes plus hautes en couleurs et en héroïsme les unes que les autres. Et que dire de son histoire d'amour avec la belle Dorothy, dont il porte le nom gravé sur son avant-bras ?

"Elle voyageait avec son mari, un être amorphe, propriétaire de grandes fabriques de je ne sais quoi, préoccupé de chiffres et de négoces, indifférent à la beauté de son épouse et à l'anxiété qui l'habitait. (...)
Comment avait commencé leur histoire ? Il ne le savait pas. Il était le commandant, naturellement il les avait fréquentés et l'avait remarquée, il admirait sa beauté e l'avait désirée en silence. Mais leur différence d'âge était grande, elle avait à peine vingt.cinq ans. Ils avaient de longues conversations, ça oui. Il lui parlait de la mer, des tempêtes et des temps plats, de sa familiarité avec les étoiles. Quand il descendait de la dunette, en pleine nuit, il la trouvait seule, contre la rambarde. Ils parlaient de choses et d'autres, ses yeux le fixaient comme si elle avait voulu le deviner. Et une nuit, sans savoir pourquoi ni comment, il se retrouva avec elle dans les bras. (...)
-Et vous, Commandant, vous vous l'êtes envoyée ?
La vulgarité du mot déplut au commandant. C'était l'amour, un amour sans pareil, incommensurable et absurde, qui s'était emparé de lui, le rendant fou, dès le moment où il l'avait prise dans ses bras et avait goûté la saveur de sa bouche. Mais il était le commandant, jamais dans sa carrière, ses quarante ans de navigation, la plus petite tache ne l'avait souillé, et il ne pouvait pas, il ne pouvait pas... c'est ce qu'il lui dit, les yeux humides, lui qui n'avait jamais pleuré de sa vie."


Mais Chico Pacheco, n'a de cesse de prouver que le titre de Commandant au long cours est usurpé et raconte comment le Seu Aragonzhino l'a acheté avec la complicité de ses compagnons de bamboche. Dorothy a bien existé, mais ce n'était qu'une pensionnaire de la pension Monte-Carlo dirigée par la célèbre Madame Carol.

Dans la troisième partie, la vérité semble devoir sortir de son puits, puisque le Commandant est obligé de prendre la direction d'un paquebot ! Mais c'est sans compter sur   Jorge Amado, qui garde jusqu'au bout le suspens et sait recouvrir la pudeur de la vérité d'un voile de talent.

J'ai tout aimé. La gouaille, les portraits, et bien sûr les têtes de chapitres :

"Du capitaine des ports, avec ses Noires et ses mulâtresses, et Madalena Pontes Mendes, une ennuyeuse demoiselle".

"Du malheur de ne pas savoir la géographie, et de l'erreur d'abuser du bluff au poker".

"Du commandant présidant la table du bord par une mer agitée, avec des menaces de révolution intestine et intestinale".

Si vous appréciez Jorge Amado vous ne serez pas déçus, si vous ne le connaissez pas, vous pouvez tout aussi bien commencer par celui-ci, même si ce n'est pas le titre le plus célèbre de cet auteur prolifique.


jeudi 2 août 2012

Alvaro Mutis : UN BEL MORIR, Grasset, 1991


A la faveur d'un cadeau, je découvre avec ce livre d'Alvaro Mutis un nouvel auteur colombien, dont j'apprends qu'il a d'abord publier des poèmes, avant de se lancer, à près de 60 ans, dans une série de romans dont le protagoniste est un baroudeur de haut vol qu'il nomme Maqroll El Gaviero (le gabier).

Le titre vient de Pétrarque qui a écrit : "Un bel morir tutta una vita onora". Et si cet épisode de la vie de Maqroll, écrit en  1989, semble bien être celui de sa fin, Alvaro Mutis a publié, par la suite, d'autres romans racontant des aventures précédentes de son héros, aventures d'ailleurs évoquées dans Un bel morir. 

Fatigué, le marin décide de s'arrêter dans le village de La Plata, au pied de la Cordillère des Andes. Sa chambre, louée à une vieille femme aveugle, surplombe le fleuve bouillonnant. Il ne fait rien de ses journées, si ce n'est de lire et relire une biographie de St François d'Assise, de boire brandy sur brandy à la taverne, jusqu'au jour où il est abordé par un certain Van Branden qui lui propose, contre rémunération, d'assurer le transport à dos de mules, de mystérieux instruments, jusqu'au au sommet du Tambo. Il a (peut-être) le tort d'accepter.

"Tandis qu'il suivait le lit du torrent, une sourde inquiétude envahissait Maqroll. La présence d'un danger indéfinissable bien que manifeste le replongea dans cet état d'esprit qui lui était si familier, cet abattement, cette monotone lassitude qui lui donnait envie de s'avouer vaincu, d'arrêter là la course de ses jours, tous immanquablement marqués du sceau de ces entreprises où c'étaient toujours les autres qui menaient la danse et y trouvaient leur profit en le faisant passer, lui, pour l'innocent instrument au service des projets d'autrui".

On l'aura compris, Maqroll, n'est pas un héros flamboyant et vantard. Ce n'est un personnage "sympathique". Et pourtant, après avoir eu un peu de peine à entrer dans l'histoire, à la fin de la lecture, j'ai envie de découvrir les autres épisodes de la vie de ce Gaviero, car si c'est une lecture divertissante qui ne manque pas de suspens,  l'écriture est riche et c'est vraiment de la littérature.