dimanche 27 septembre 2015

Günter Grass : LE CHAT ET LA SOURIS, Ed. Seuil, 1961


Curieux témoignage que ce roman dédié à la fascination d'un jeune adolescent pour son camarade, qui semble si grand déjà, du haut de son année supplémentaire. On est près de Dantzig, dans la Pologne germanique, pendant la deuxième guerre mondiale.

Le narrateur se conduit réellement comme un chat, à surveiller, suivre, attraper, puis relâcher, cette souris qu'est le Grand Mahlke avec sa pomme d'Adam hypertrophiée. 

On suit un petit groupe de collégiens, dans leurs jeux, leurs après-midis passés sur l'épave d'un bateau échoué. La guerre n'est ressentie que par l'absence des pères ou des frères morts au front, par la mise en scène d'un ancien élève revenant, décoré de la croix de fer, et magnifiant ses batailles, en revanche la nazification est présente tout au long de ce récit.

"(...) je lui parle de Mahlke et de la Vierge de Mahlke, de la gorge de Mahlke et de la tante à Mahlke, de la raie au milieu qu'avait Mahlke, d'eau sucrée, de phonographe, de hibou blanc, tournevis, pompons de laine, boutons phosphorescents, de chat et souris et de mea culpa; comme quoi le Grand Mahlke était assis sur la péniche, et moi, sans hâte, je nageais vers lui en brasse, en dos; car seul j'étais comme qui dirait son ami, si l'on pouvait être l'ami de Mahlke. En tout cas je m'y efforçais. Même pas ! Je trottais spontanément à côté de lui et de ses attributs variables. Si Mahlke avait dit : "Fais ci ou ça !" je l'aurais fait et encore davantage. Mais Mahlke ne disait rien; il tolérait sans un mot, sans un geste que je courre après lui, que j'aille le prendre dans l'allée de l'Ouest bien que ce fût un détour, afin d'obtenir licence d'aller à l'école à son côté".

Comme vous pouvez le constater, le style et la syntaxe de Grass ne sont pas des plus simples et j'ai parfois dû lire à haute voix certains passages, pour y trouver le rythme et ne pas me perdre dans ses longues phrases relevant plus de la bousculade des pensées et des émotions du jeune protagoniste que de la volonté narrative de l'auteur.

J'en retiens le témoignage d'une jeunesse tiraillée entre le besoin de reconnaissance et d'approbation de la part des autorités - que ce soient des professeurs, des parents ou de l'Église  - et le besoin de s'émanciper tout en ayant pour seule perspective, l'embrigadement dans les jeunesses hitlériennes.

Ce roman est le deuxième de la trilogie commencée par le fameux "Tambour" (qui m'avait semblé beaucoup plus facile à lire) et qui se termine par "Les Années de chien", que je vais me procurer au plus vite.

mardi 22 septembre 2015

Anne Cuneo : LES CORBEAUX SUR NOS PLAINES, Bernard Campiche Editeur, 2005


Démarche intéressante que celle d'Anne Cuneo pour ce récit : ayant retrouvé en 2005, une copie (stencil) de son premier essai d'écriture qui datait de 1965, elle décide de reprendre ce texte, de le débarrasser du superflu et des "italianismes" comme elle les appelle, pour n'en garder que l'essentiel. Un texte qu'elle avait oublié et qui n'avait pas su retenir l'attention des éditeurs.

En fait, cet ouvrage est l'objet de deux récits : celui qui fait la trame de son roman et celui de sa reprise en main, près de 40 ans plus tard.

Le roman proprement dit met en scène une jeune italienne de 14 ans qui voit ses parents être fusillés par l'occupant allemand et se retrouve, une ou deux heures plus tard, abandonnée dans un fossé après avoir été violée par les hommes du peloton d'exécution. 

Ce traumatisme va peser sur les relations qu'elle nouera ou ne pourra pas nouer avec les autres, jusqu'à ce qu'elle retrouve, des années plus tard, l'officier allemand, déserteur, qu'elle avait soigné durant les dernières années de la guerre.

Cette rencontre est le prétexte pour Anne Cuneo d'affirmer ses idées pacifistes voire internationalistes, ses luttes pour la libération de la femme, et ceci bien avant 1968 !

"Ah oui, vraiment, quel héros ! Il s'est sacrifié. Une jeune fille à la fois jolie, bien faite, cultivée, pleine d'élan et de spontanéité... Il a sûrement dû se forcer. Mais à quelle époque vivons-nous ?"
Elle s'était levée, avait fait le tour de son bureau, avait pris le menton d'Elena qui s'obstinait à fixer le sol et l'avait forcée à la regarder.
"Est-ce que tu as sérieusement pensé pendant toutes ces années que tu as passées ici, chez moi, que tu étais une fille "ruinée", comme ils disent en Sicile ?"
"Les garçons prétendent toujours que..."
"Evidemment, tu étais complètement finie, et tous ces jeunes gens qui assiègent la maison depuis des années pour que tu sortes avec eux n'insistaient que par pitié."
"Tu sais bien ce qui se serait passé si je leur avais raconté quoi que ce soit."
"Tu as essayé ?"
"Non, évidemment pas."
"Je vais te dire, Mademoiselle la petite-bourgeoise bigote comme pas deux. Tu n'es qu'une ancienne combattante de quatre sous. Comme ton mec. Vous formez une belle paire, tiens !"

Si vous n'avez rien lu d'Anne Cuneo, ne commencez pas par celui-ci : malgré le travail qu'elle a effectué sur son premier texte, il y reste, à mon avis, quelque chose d'inachevé, si je le compare à d'autres de ses romans (Station Victoria, le Maître de Garamond, etc.) En revanche, si vous connaissez déjà cet auteur, vous y retrouverez les prémisses de son style si personnel, et vous apprécierez le récit de sa démarche littéraire.

dimanche 20 septembre 2015

Serge Perez : DOMMAGE POUR MOI, Actes Sud, 1999c


Qui a dit que 16 ans c'est le bel âge ? En tout cas pas Serge Perez, auteur que je découvre dans la bibliothèque de ma soeur.

Oui, dommage d'arrêter l'école au début du lycée, dommage de se sentir nul, dans un monde de travailleurs adultes sans égards pour le jeune arpète maladroit, dommage de n'être pas assez bien aux yeux des parents de la fille que l'on aime, dommage de ne rien savoir de son propre frère et encore plus dommage d'apprendre la vérité...

J'ai bien aimé ce livre sans prétention, mais avec un sens aigu des sentiments et des doutes qui peuvent pourrir la vie d'un jeune qui débute dans la vie. On y trouve également une présentation en filigrane de ce qui sépare, encore aujourd'hui les classes laborieuses de la bourgeoisie bien installée, sans dogmatisme pour autant.

"Non les parents de Pilou avaient le coeur sur la main, des coeurs énormes qui souvent vous donnaient envie de pleurer. (...) Je les aimais car ils détenaient entre autres le pouvoir d'en abuser, de profiter de leur condition. Mais non, non, eux donnaient simplement, largement. Et pas du tout comme certains donnent très gentiment tant ils n'ont guère que leur gentillesse à vous offrir. Ce n'était pas non plus un choix, car leur gentillesse était tout naturelle, toute spontanée, pas même la gentillesse de ces types que ça tracasse un peu de vivre plus aisément que les autres et qui redoutent alors qu'un de ces quatre la foudre ne jaillisse du doigt de dieu pour venir leur fendre le crâne si toutefois, ils ne partageaient pas un peu, bref, ce genre de geste que l'on prodigue pour éloigner le mauvais oeil. Et encore moins cette gentillesse tout à fait horrible qui consiste à se faire passer pour ce que l'on est pas si toutefois à l'être, on y trouve quelques intérêts. C'étaient des gestes purs. Non, je ne pouvais guère les imaginer monstrueux ses parents, je ne pouvais pas."

Lecture agréable, qui ne va pas bouleverser votre imaginaire, mais vous permettre de passer un bon moment.

mercredi 2 septembre 2015

Douglas Kennedy : CINQ JOURS, Belfond, 2013


Arrivée à 42 ans, Laura Warren se sent de plus en plus mal dans sa vie tant professionnelle que personnelle. A la faveur d'un congrès de radiologie, sa vie semble pouvoir prendre un tournant, mais....

Beaucoup de déception à la lecture de ce roman qui semble vite pensé, vite conçu, vite écrit. Est-ce la rançon du succès, est-ce que la pression des éditeurs est trop forte, Douglas Kennedy  "pisse de la copie" et fournit le service minimum requis se conformant à un style de roman à l'intrigue sans surprise et au format convenu.

Dommage, car le début semblait prometteur : considérée comme une excellente  technicienne en radiologie, Laura supporte de moins en moins le stress de la découverte des cancers et autres tumeurs mettant en danger les patients auxquels elle fait passer des scanners. 

"J'ai poussé un soupir de soulagement en plaquant une main sur ma bouche, et c'est alors que j'ai pris conscience des battements précipités de mon coeur. A la joie de savoir que le cerveau de Jessica ne présentait aucun signe de mauvais augure s'ajoutait le désarroi profond à l'idée que je m'étais mise dans cet état de stress. Cette réaction soulevait une question troublante : est-ce ce qui vous arrive quand vous vous imposez pendant des années un rôle qui va intrinsèquement à l'encontre de votre véritable nature, quand les attaches du masque se relâchent et que celui-ci commence à révéler aux autres une partie de vous-même que vous avez voulu cacher à toute force tout ce temps, des cicatrices plus ou moins anciennes?"

Alors pourquoi la rencontre fortuite d'un homme banal qui se révèle être un compagnon intéressant et agréable tourne-t-elle au roman de gare ? Pourquoi la fin semble baclée, échappant de justesse à un happy end romantique pour tomber dans une banalité impardonnable ? 

On est très loin de "Cul de sac" très très loin !