vendredi 31 mai 2013

Jérôme Ferrari : BALCO ATLANTICO, Actes Sud, 2008


Premier livre de cet auteur que je lis. J'en avais entendu parler au moment de la sortie du "Sermon sur la chute de Rome", mais il me restait inconnu. Ce fut donc une découverte intéressante, ce d'autant plus que son roman est construit, ce que j'apprécie toujours. 

L'histoire commence par l'assassinat , en octobre 2000, d'un jeune nationaliste corse, devant le bistrot d'un village. La fille de la patronne voit ainsi disparaître l'homme qu'elle aime depuis sa tendre enfance. Jérôme Ferrari, s'emploie à remonter le fil de l'histoire de ce drame jusqu'en 1985. Mais il alterne les mémoires : un chapitre suit la chronologie des événements, l'autre le fait en remontant le temps. Et entre chacun d'eux, est intercalée l'histoire d'un frère et d'une soeur ayant quitté le Maroc et leur Balco Atlantico, à la recherche d'une vie meilleure ce qui les a conduits dans le village en question. 

Le roman ne se résume de loin pas à l'énoncé d'une dérive du mouvement nationaliste. L'un des personnages, et non des moindres, est un professeur d'ethnologie, schizophrène, souffrant d'un "excès de mémoire". Ce n'est qu'auprès  de la tenancière du bistrot qu'il trouve, enfin, le moyen de dompter ses fantômes.

"J'étais donc, en somme, arrivé à une solution acceptable  quand je me posais enfin la question qui faillit me faire perdre totalement ce qui me restait de raison : depuis quand souffrais-je de cet excès de mémoire ? Qu'avait été ma vie ? (...) 
J'éprouve peut-être une nostalgie terrible pour des choses qui n'existent pas. Mais je ne veux pas perdre cette nostalgie".

Une fois entamée la lecture ne souffre aucune interruption. Bien qu'il n'y ait aucun suspens, on est pris dans le labyrinthe des souvenirs des uns et des autres. 

Un auteur à suivre à n'en pas douter.





lundi 27 mai 2013

Jean Vautrin : DIX-HUIT TENTATIVES POUR DEVENIR UN SAINT, Payot, 1989


C'est un auteur que j'ai découvert par la bande dessinée, puis par son grand succès "Un grand pas vers le Bon Dieu", mais je crois que ce que j'ai préféré, c'est ce recueil de nouvelles.

Huit "instantanés !" de la vie, pris au moment où cette dernière bascule vers autre chose.

Que ce soit cette gamine sur le bord de la fenêtre espérant un regard pour ne pas sauter, cette femme qui est sur le point d'appliquer de la crème hydratante sur son visage au moment où son ex revient s'installer à la maison, ce notable prenant l'autoroute en sens inverse après une escapade coupable ou cet homme qui devient tueur à gage pour réaliser son rêve d'aller mourir en Grèce. Quant à la manière de devenir un saint.... je vous laisse la découvrir.

Jean Vautrin c'est aussi un style, un choix de mots, une précision dans ceux-ci, une certaine gouaille aussi.

"Depuis longtemps déjà, le coeur de ce bougre de tabellion pompait à la baisse. Son sang se frayait un chemin difficile dans des artérioles de plus en plus détériorées, rigides comme pipes en terre. Afin de le protéger contre lui-même, il m'arrivait de lui brosser des tableaux emphatiques où la menace de la mort la plus noire rôdait à chaque coin de mes phrases. Infarctus, hémorragie cérébrale, hémiplégie régressive, je lui promettais de tout pour faire reculer sa boulimie. Franchement, il n'y avait pas d'atrocité que je ne lui eusse décrite, mais allez y faire mieux que moi dans ce domaine d'intimidation, Abel Truchant haussait les épaules, réchauffait un ratafia furieux au creux de son poing rond, et se plongeait dans la lecture d'Escoffier pur oublier mes mises en garde. Si d'aventure, je me risquais par surcroît à laisser quelques prescription de sauvegarde sur le coin de sa table, je savais bien qu'impitoyablement il jetterait mes ordonnances à la corbeille, retournerait à ses demoiselles de Paris, à ses agapes, à ses dégustations et ferait fi de mes conseils."

J'ai eu beaucoup de plaisir à la lecture de ce recueil.

mercredi 15 mai 2013

Edgar Hilsenrath : LE NAZI ET LE BARBIER, Attila, 2010


Un livre étonnant et rare, vu son propos et son style. Ce n'est pas souvent, en effet, que le thème de la Shoah dans un premier temps et de la création de l'Etat d'Israël dans sa deuxième partie, est traité sur le mode burlesque et de manière quasi détachée.

D'ailleurs, écrit et publié aux USA en 1972, il n'a été publié en Allemagne, pourtant patrie d'Egar Hilsenrath, qu'en 1977.

Il faut dire que le propos a de quoi étonner. S'il s'agit d'une biographie linéaire et chronologique, l'histoire n'est pas banale. C'est celle du jeune Max Schulz "aryen pure souche" dont le meilleur ami, Itzig Finkelstein,  est lui aussi Allemand mais juif. Leur amitié a beau être très forte, lorsque Hitler arrive au pouvoir, Max s'enrole dans les SA, puis les SS. Il accomplit son travail de génocidaire sans sourciller, allant même jusqu'à exterminer son propre ami et ses parents.

"Sauf peut-être un événement marquant. Le seul que je n'aie pas oublié : nous conduisions une poignée de Juifs dans un cimetière pour les fusiller. Mais erreur de cimetière. Il y avait des croix sur les tombes. Les Juifs se tenaient debout devant les croix, tremblants comme des feuilles, incapables de pleurer tellement ils avaient la trouille. Et là, sur l'une des croix, la plus simple et la plus petite, était accroché Jésus Christ. Qui chialait. Et qui dit à mon lieutenant : "Vous m'avez mal compris. Je les ai maudits, d'accord. Mais je voulais juste leur faire peur ! Pour qu'ils se convertissent !" Et le Seigneur Jésus Christ a continué de chialer sans plus rien dire.
Mon lieutenant s'est nis en pétard et a envoyé quelques balles dans le bide du Christ en pleurs. Et le Christ est tombé de sa croix, mais il n'était pas mort.
Mon lieutenant s'est alors tourné vers moi et il a dit : "Max Schulz ! Veuillez fermer la gueule à ce faux prophète une fois pour toutes. Vous faites ça mieux que moi."
Et c'est ce que j'ai fait."

A la fin de la guerre, Max ne trouve pas meilleur moyen d'échapper à la justice que de prendre l'identité de son ami Itzig, de remplacer son tatouage SS par un numéro de prisonnier au camp d'Auschwitz et pour parer à toute éventualité, de se faire circoncire. 

Il rejoint la Palestine en 1947, participe à la vie d'un Kibboutz avant de s'installer dans une petite ville en développement comme coiffeur, métier qu'il avait appris auprès du père d'Itzig.  Il se prend tellement au jeu qu'il devient l'un des héros de la lutte contre les Anglais et l'un des fers de lance du nouvel Etat. Il intègre totalement l'idéologie sioniste et c'est à peine si l'existence des Palestiniens est évoquée. Je ne vous en dis pas plus et vous laisse le soin de découvrir la fin de son histoire.

Hilsenrath, Allemand, Juif, ayant subi les pogroms en Roumanie, ayant rejoint la Palestine lui aussi, mais n'y étant pas resté, prend quant à lui ses distances  vis à vis du nouvel Etat sioniste et y dénonce déjà  les inégalités :

(Dans le salon de coiffure, les fauteuils sont numérotés)
"- Oui, Monsieur Finkelstein. Voyez : le fauteuil NUMERO UN, près de la fenêtre, c'est le meilleur fauteuil du salon. La place à la fenêtre, vous comprenez, est réservée aux Juifs allemands.
- Tiens ! Et le fauteuil NUMERO DEUX ?
- Pour les Juifs d'Europe de l'Ouest.
- Et le TROIS ?
- Pour l'élite des Juifs de l'Est.
- Qui sont, Monsieur Spiegel ?
- Les Russes et les Lituaniens.
- Et le QUATRE ?
- Pour tous les autres Juifs d'Europe de l'Est. Sauf les Roumains
- Et où vont les Juifs roumains ?
- Sur le fauteuil NUMERO CINQ, le dernier des Juifs de l'Est."
(...)
- Yitzhak Spiegel m'expliqua ensuite que le NUMERO SIX était réservé à l'élite des Juifs orientaux, les Yéménites. Puis venaient les autres. Le dernier fauteuil destiné aux Juifs orientaux était pour les Marocains.
Yitzhak Spiegel haussa les épaules, navré, puis m'expliqua la suite de l'enfilade qui continuait jusqu'aux vestiaires.
Je demandais encore : "Et qu'en est-il des deux fauteuils sans numéro près de la fenêtre ?
- L'un est réservé aux Sabras, dit Yitzhak Spiegel. Pour votre information, ce sont les Juifs nés dans ce pays, Monsieur Finkelstein. Nous ne savons pas où les classer.
- Et l'autre, Monsieur Spiegel ?
- Destiné aux non-Juifs. Aux nouveaux citoyens qui ne sont pas d'origine juive et aux étrangers. Nous les plaçons près de la fenêtre. Par courtoisie."

J'ai aimé ce livre qui se lit d'une traite et dont l'absurde n'a d'égal que la période historique dont il traite.
Un auteur dont je vais me procurer les autres titres.