dimanche 21 octobre 2018

Rachid Mimouni : LE FLEUVE DETOURNE, Robert Laffont, 1982


Un roman hautement allégorique qui a pour cadre l'Algérie post-coloniale. Ce fleuve détourné, je l'ai compris comme le vol de la libération que la classe politique dirigeante a commis contre le peuple algérien, en s'accordant à elle seule le bénéfice de l'Indépendance et surtout les richesses du pétrole. 

Le roman est construit sur une alternance de courts chapitres entre le présent d'un homme qui se retrouve dans une espèce de colonie pénitentiaire où on promet aux détenus une émasculation prochaine et le passé qui nous amène à découvrir peu à peu comment le narrateur en est arrivé là.

Il y a du Kafka dans ce personnage qui, seul rescapé d'une embuscade dans le maquis où il a perdu la mémoire, erre longtemps avant de retrouver le souvenir de son village. Il s'y rend pour y retrouver sa famille, mais tout le monde le croyant mort, l'administration refuse de reconnaître son erreur et l'en chasse. Il part alors à la recherche de sa femme et ce qu'il découvre, en toute fin du roman, l'amène à commettre l'acte qui le fait enfermé.

"Mon cher cousin, il faut bien comprendre la situation actuelle. Beaucoup de choses ont changé au pays. Nous sommes un Etat souverain, maintenant. Autrefois, l'administrateur de la commune mixte, aidé de ses caïds, décidait de ce qui était bon pour nous et s'arrangeait pur entretenir en permanence la rivalité entre les deux principales tribus de la région, les Merzoug et nous. Mais les fils rivaux se sont retrouvés côte à côte au maquis et, le colonisateur parti, nous avons cru pouvoir tomber dans les bras l'un de l'autre. Las ! Nos vieilles querelles avaient pourri, et les Temps Modernes offrent tant d'occasions nouvelles à notre ancestrale concurrence."

Un livre à la teneur politique indéniable qui a été censuré en Algérie, comme d'ailleurs les ouvrages suivants qu'il a publié. En 1993, il a même été menacé de mort  et a été forcé à l'exil au Maroc voisin. Et pourtant, sur la vidéo ci-dessous, lors d'un entretien avec Bernard Pivot, une année avant la montée du FIS, il ne voit rien venir. Il faut bien dire qu'il n'a pas été le seul !