jeudi 11 juin 2020

Vanessa Springora : LE CONSENTEMENT, Grasset, 2020



Un livre courageux, un livre intelligent et un livre nécessaire. Nécessaire pour son auteure, mais aussi pour les lecteurs. Nécessaire pour se poser les bonnes questions et ne plus jamais retomber dans la lâcheté, la complicité face à l'impunité de ces prédateurs, qui, sous couvert de l'art, ont séduit et abusé des enfants et de jeunes adolescents.

Ce livre est courageux, car ce que nous dit Vanessa Springora, c'est sa propre histoire. Et elle le fait avec sincérité je dirais presque avec simplicité, tant elle reste sobre, se contentant de relater les faits sans hausser le ton, comme un acte d'accusation impitoyable mais rigoureux. 

Elle décrit parfaitement la stratégie de séduction que G.Matzneff a utilisé pour la soumettre à son bon plaisir. Elle explique clairement, son besoin de reconnaissance, sa curiosité, et la fascination qu'il a exercé sur elle, alors qu'elle n'avait que 14 ans. 

"Après chaque séance amoureuse où G. semble se repaître de mon corps comme un affamé, lorsque nous sommes tous les deux dans le calme de son studio, entourés jusqu'au vertige par des centaines de livres, il me berce dans ses bras comme un nourrisson, la main dans mes cheveux ébouriffés, m'appelle "mon enfant chérie", "ma belle écolière" et me conte doucement la longue histoire de ces amours irrégulières nées entre une très jeune fille et un homme d'âge mûr".   

Puis la petite comprend qu'elle n'est pas la seule, que les séjours que Matzneff a passés aux Philippines avaient pour but principal d'abuser d'enfants encore plus jeunes qu'elle, elle met fin à leur relation. 

Elle raconte notamment qu'elle demande de l'aide à Cioran, qu'elle croit être un ami, et la réponse de ce dernier est effarante :

"- V., me coupe-t-il d'un ton grave, G. est un artiste, un très grand écrivain, le monde s'en rendra compte un jour. Ou peut-être pas, qui sait ? Vous l'aimez, vous devez accepter sa personnalité. G. ne changera jamais. C'est un immense honneur qu'il vous a fait en vous choisissant. Votre rôle est de l'accompagner sur le chemin de la création, de vous plier à ses caprices aussi. Je sais qu'il vous adore. (...) Sacrificiel et oblatif, voilà le type d'amour qu'une femme d'artiste doit  celui qu'elle aime.
- Mais Emil, il  me ment en permanence.
- Le mensonge est littérature, chère amie ! Vous ne le saviez pas ?"

Mais il lui faudra de nombreuses années pour quitter l'image de fiction qu'elle a d'elle-même, pour ne plus être qu'une expérience parmi d'autres, qu'un prétexte pour produire des textes sulfureux encensés par la critique de l'époque.  

Enfin, un livre intelligent, car il pose la vraie question, celle du consentement ! 

On en a beaucoup parlé dans la presse et dans les médias à sa sortie. Vous pensez peut-être avoir compris de quoi il s'agit et qu'il n'est pas nécessaire de le lire, pour savoir quoi en penser, ce serait une erreur. Vous rateriez l'occasion de ne plus jamais vous laisser prendre par un anti-puritanisme, par une anti-censure mal à propos. C'est une chose de fantasmer, une autre de commettre des abus.