Alors
qu'elle n'a que 40 ans, Anne Cuneo est condamnée par la médecine. Elle sent la
mort approcher, alors que sa fille n'a que 9 ans. Ayant elle-même perdu son
père à cet âge-là, et ayant toujours regretté de ne pas l'avoir mieux connu,
elle décide de permettre à sa fille, le jour où le besoin s'en fera sentir, de
connaître et de comprendre cette mère qui risque de disparaître trop tôt.
Elle
entame donc le récit de ses trente premières années, sur le mode linéaire, ce
qui, je dois bien l'avouer, est quelquefois un peu longuet. Mais heureusement,
elle confronte sa mémoire à celle de sa mère, qui, à 65 ans, a elle aussi
raconté sa vie dans un carnet. Ce sont deux mémoires qui se rencontrent
parfois, mais qui souvent s'éloignent l'une de l'autre. Par ailleurs, comme je
viens de lire le récit autobiographique de son propre frère, Roger Cuneo,
l'intérêt ne s'est jamais éteint.
Une
petite enfance parisienne d'abord, troublée par la venue du petit frère,
puis italienne ensuite, détruite
par l'assassinat du père au sortir de la guerre. Vient ensuite une adolescence
passée à l'orphelinat catholique de Lausanne, dont la seule porte de sortie est
la lecture en cachette et l'école.
Puis viennent les rencontres, les amis,
les amours et la petite orpheline solitaire se recrée petit à petit un monde,
une "famille". Après un premier mariage de très courte durée, elle
n'aura de cesse de se découvrir, de s'accepter, de se reconnaître. Trente
années douloureuses, mais faites de luttes et d'espoir, trente années qui ont
forgé une femme pas si ordinaire que cela.
J'ai
personnellement bien connu Anne Cuneo, puisque je l'ai eue comme enseignante de
français de 1967 à 1972. C'est elle qui m'a fait découvrir la littérature
contemporaine, c'est elle qui m'a donné le goût du cinéma, du théâtre, de la
peinture. C'est elle qui m'a appris à douter, à chercher, à ne pas accepter les
explications toutes faites, à oser m'exprimer.
Je
peux vous assurer qu'à l'époque, c'était tout, sauf une femme ordinaire. D'abord elle avait publié un livre : "Gravé au diamant". (cliquez pour voir la vidéo d'une interview) Et puis elle
faisait scandale dans sa grande cape mauve, dont la minijupe ne dépassait pas.
Elle faisait scandale en invitant ses élèves à assister à des pièces du Living
Theater, ou en les emmenant à Londres et en les laissant libres de découvrir la
ville par eux-mêmes ou en les invitant chez elle, pour une soirée spaghetti.
Elle faisait scandale en divorçant et en reprenant son nom de jeune fille !
Bref, c'était les années 68 et
elle était en phase avec cette période.
Elle
a heureusement survécu à son cancer et après avoir publié plusieurs récits
d'ordre autobiographique, s'est lancée avec beaucoup de bonheur dans
l'écriture de romans "historiques" dont je ne citerai que "Le
trajet d'une rivière" et le "Maître de Garamond", dont je vous
recommande vivement la lecture.