lundi 28 janvier 2013

Yasmina Khadra : L'EQUATION AFRICAINE, Julliard, 2011


Une fois de plus Yasmina Khadra nous tient en haleine et nous oblige à dépasser les clichés amassés en regardant la télévision. 

Sur les pas d'un médecin allemand bien installé dans sa vie prospère, mais qui, suite à la mort de sa femme, décide d'accompagner son meilleur ami jusqu'aux Comores, ce roman nous entraîne dans l"enfer" du désert du Sud Soudan. En effet, pris en otage, les deux amis vont passer d'une bande de ravisseurs à l'autre tant que leur prix, en tant qu'otages, ne baissera pas.

"Les minutes s'étirent comme des élancements, cherchent à m'écarteler. Il n'est pire supplice que l'attente, surtout lorsqu'elle ne débouche sur aucune certitude. J'ai l'impression de fermenter. Je ne tiens plus en place. Ma couche est faite d'épines. Je n'ose plus regarder par la lucarne ni sortir dans la courette. J'ai peur de chaque instant qui m'égratigne telle une griffure. A quoi pensé-je au juste ? Je n'en ai pas la moindre idée. Je crois que je ne pense même pas. Mon cerveau cafouille. Mon toucher est vague. Je ne sens plus les choses de la même façon. Tout m'irrite, tout me chiffonne. Je suis inquiet. Mes anxiétés se surpassent. Me dépassent. Je pars dans tous les sens. Le doute a anesthésié mes facultés. On dirait que je regarde à travers des vitres tantôt givrées tantôt dépolies. Et ce que je redoutais se déclenche : le grand vertige me happe avec une dextérité qui ne me laisse pas le temps de réaliser ce qui m'arrive. De vagues souvenirs flottent autour de moi, se font et se défont dans la pénombre, semblables à des âmes éthérées. Je tends la main vers une image; elle s'étiole entre mes doigts et s'éparpille en une multitude de spirales. C'est parti ! sauf que j'ignore où cela va me mener."

Une fois entamé, ce livre ne vous lache pas. D'une écriture précise, mais souple, il nous entraîne à la suite du personnage principal et lorsqu'enfin ce dernier retrouve son univers, on reste aussi pantois que lui devant la futilité de nos problèmes d'Européens.




dimanche 20 janvier 2013

Mohamed Kacimi : LA CONFESSION D'ABRAHAM, Gallimard, 2000


Conçu comme une pièce de théâtre à un personnage, ce texte met en scène Abraham, qui, du fond de son tombeau, compte ses enfants dans le monde, lit le courrier qu'ils lui envoient et se remémore sa très longue vie.

Ce long monologue s'adresse à sa femme Sarah, qui fut certainement la plus difficile à convaincre que l'Alliance avec Dieu était "une bonne affaire". Ce dernier n'a-t-il pas attendu ses 90 ans pour tenir sa promesse de descendance ? Et quand finalement ce fils tant espéré est arrivé et a grandi, Dieu n'en a-t-il pas exigé le sacrifice ?

"Mais qu'est-ce qu'il nous veut à la fin, ton bon Dieu ? Cela fait des siècles maintenant qu'il s'acharne sur la famille. Pour une malheureuse pomme, il expulse du Paradis les pauvres Adam et Eve, comme des sans-papiers. Il nous déverse sur la tête des bassines d'eau pour nous noyer comme des chiens, heureusement que grand-père Noé a joué au pompier durant quarante jours et quarante nuits. Ensuite, il fout la zizanie dans la langue parce que Monsieur ne supporte pas la vue d'un HLM à Babel. Après, il nous déloge de Mésopotamie pour nous donner en échange une volée de pierres. Il rase sous nos yeux deux villes pour un orgasme qu'il juge mal placé. Il met quarante ans avant de me donner un enfant et maintenant qu'il et là, il veut en faire un barbecue. Si jamais il touche à un seul cheveu de mon petit, je te le jure, sur la tête de ta mère Emtelaï la fille de Karnabo, je lui arrache les yeux. Je le traînerai dans la boue, je l'écorcherai et je ferai de sa peau un tambour. Je me mettrai nue et je danserai sur son ventre durant mille ans, ou même quatre mille s'il le faut, jusqu'au grand matin où l'un de mes petits-enfants viendra me dire : "C'est bon, Sarah, tu peux arrêter. Il est mort. On respire mieux de Médine à Jérusalem".

On l'aura compris, le propos Mohamed Kacimi est loin du dogme religieux. Les références au conflit israélo-palestinien sont nombreuses, avec un soupçon d'ironie quant aux textes sacrés. 

Mais pas seulement, on y croise J. Lacan, A. Chouraqui, P. Lévi des syndicalistes de Vilvoerde et j'en passe. Il s'adressent à lui, soit pour lui demander conseil, soit pour lui montrer à quel point être de sa descendance n'est pas une chose simple !

Personnellement, je n'ai pas goûté cet humour, un peu facile, me semble-t-il, et je n'ai pas cru à cette confession. 

lundi 14 janvier 2013

Atiq Rahimi : TERRE ET CENDRES, P.O.L, 2000


J'avais beaucoup aimé "Syngé Sabour" et c'est donc sans hésitation que, voyant ce tout petit livre à l'étal de la boutique Payot de l'aéroport de Genève, je l'ai acheté en pensant le lire dans l'avion. 

Et bien je n'ai pas pu. Il est trop dense, trop prenant, trop intense. Non que l'écriture soit laborieuse, au contraire, mais c'est le propos qui vous absorbe entièrement, car il va à l'essentiel de l'humain. 

En Afghanistan, pendant la guerre contre l'URSS, un vieillard, accompagné de son petit fils, attend le passage d'un camion pour l'emmener jusqu'à la mine où travaille son fils. Il doit lui apporter la pire des nouvelles qu'un père n'ait jamais eu donner à son propre fils et il ne sait comment s'y prendre.


"- Mon fils, mon seul fils va sûrement devenir fou... Il vaut mieux que je ne dise rien.
- C'est un homme, père ! Il faut que tu lui dises ! il faut qu'il accepte. Un jour ou l'autre il l'apprendra. Il vaut mieux que ce soit par toi. Que tu sois près de lui, que tu partages sa peine. Ne le laisse pas seul ! Fais-lui comprendre qu'ainsi va la vie, qu'il nest pas seul au monde, qu'il vous a, son fils et toi. Vous devez vous soutenir mutuellement.... Ces malheurs sont le lot de tout le monde, la guerre n'a pas de coeur...
Mirza Qadir approche la tête de la porte et dit en baissant la voix :
- ... la loi de la guerre c'est la loi du sacrifice. Dans le sacrifice, ou bien le sang est sur ta gorge, ou bien il est sur tes mains.
Envahi par un sentiment d'impuissance, tu demandes machinalement :
- Pourquoi ?
Mirza Qadir jette sa cigarette au loin. Il poursuit à voix basse :
- Mon frère, la guerre et le sacrifice suivent la même logique. Il n'y a pas d'explication. Ce qui est important, ce n'est ni la cause ni le résultat, mais l'acte proprement dit."

Je n'en dévoile pas plus, mais je vous signale aussi que Terre et cendres a été adapté au cinéma en 2004 par Atiq Rahimi lui-même. En voici la bande annonce :