lundi 30 juillet 2012

John Irving : DERNIERE NUIT A TWISTED RIVER, Seuil, 2011


Avec ce douzième roman, John Irving signe une réflexion sur la paternité, par rapport à son enfant ou à celui des autres bien sûr,  mais aussi celle de l'écrivain par rapport à ses romans.

Il nous raconte - et comme c'est bien raconté ! - l'histoire de Daniel Baciagalupo et de son père, contraints de fuir toute leur vie,  le monde des bucherons du New Hampshire, suite à un accident fatal. 

Mais il nous raconte 50 ans d'Amérique, de la guerre du Vietnam à celle d'Irak, 50 ans de formation d'un écrivain et de sa relation à la réalité, 50 ans d'amitié entre le père du protagoniste et l'amant de sa mère, sorte de deuxième père. Il nous raconte le besoin du père de protéger son enfant et l'abîme dans lequel Daniel plonge à la mort de son propre fils.

Dans ce monde d'hommes, les femmes sont loin d'être absentes et si l'une d'elle est confondue par le petit Daniel avec un ours, c'est une sorte d'homage de la part de John Irving, quand sont sait la place que cet animal tient dans son oeuvre. 

Je ne vous dévoile pas l'intrigue, car il y a du thriller dans ce livre, mais je vous livre cette réflexion sur le rapport entre autobiographie et roman.

"On avait décortiqué chaque ligne de ses romans pour y débusquer le détail autobiographique, on les avait disséqués, radiographiés, pur y lire des mémoires clandestins. Fallait-il s'en étonner, pourtant ?
Pour les médias, la vie compte plus que la fiction, de sorte que les éléments basés sur l'expérience personnelle de l'auteur intéressent davantage le grand public que les rouages romanesques de "pure" invention. Ce qui relevait de son expérience personnelle ou de celle d'un de ses proches était crédité d'une "vérité" plus tangible que tout ce qu'il pouvait inventer. (C'était une conviction communément répandue, m'eme si le travail de l'écrivain, comme Danny le déclarait de façon subversive chaque fois qu'il était amené à défendre la fiction dans le roman, consiste à imaginer une histoire intégrale, contrairement à celles de la vraie vie, fragmentaires et inabouties)."

J'ai retrouvé toute la verve de John Irving, toute l'imagination, tout l'humour dont il a semé son oeuvre. Un auteur qui ne m'a jamais déçue, contrairement à ma chronique qui ne me semble pas refléter le plaisir que j'ai eu à la lecture de ce roman. 

jeudi 5 juillet 2012

Jacques Prévert & André Pozner : HEBDROMADAIRES, Ed. Guy Authier, 1972


Retrouver  Jacques Prévert et sa poésie, mais pas seulement, au travers de la présentation des entretiens et des moments d'amitiés qu'il a partagés avec André Pozner. Un pur moment de plaisir. 

C'est au début des années 1970 qu'André Pozner, récemment engagé par une revue littéraire,  prend contact avec Prévert pour lui proposer une série d'entretiens.  Très vite, la complicité se transforme en amitié, ce qui n'empêche pas Pozner de s'émerveiller, toujours et encore, devant la capacité de Prévert de manier les mots, les idées, d'être  tout simplement Poète, avec un grand P.

"En quittant Prévert, ivre de mots, je rentre vite à la maison pour écouter l'enregistrement du magnétophone et je me dis : il peut parler d'hebdomadaires comme de voitures, d'oiseaux ou d'arbres, mais ces hebdomadaires comme ces voitures, ces oiseaux et ces arbres il leur donne l'encre ou l'eau de son jardin, c'est la manière qui compte."

Au fil de la lecture, on découvre un Prévert ayant toujours sous la main, un extrait d'article, un passage souligné dans un livre, une citation pour illustrer son propos.  Les sujets abordés, vont de l'amitié, du surréalisme, en passant par la science, Dieu, la bombe atomique et l'apocalypse des sujets "graves" mais pas "sérieux".  

Et puis, rarement, il parle de lui :

"J'allais au cinéma plusieurs fois par semaine. Enfant et plus tard. Avec toujours un grand plaisir. Quand nous y allions avec mon père, ma mère et mon frère, ça ne coûtait pas cher mais tout de même trop pour nous. Alors, en passant devant le contrôleur mon père disait : "Passez devant les enfants !" On passait, on allait s'asseoir en vitesse et mon père donnait deux billets. "Et les enfants ?" demandait le contrôleur. "Les enfants ? Quels enfants ?" "Mais vous avez dit..." "J'ai dit : Passez devant, les enfants, parce que les enfants d'abord !" C'était toujours ça de gagné.
Je demande à Prévert :
- Il n'y avait jamais un rond à la maison ?
- Tout de m'eme, il y en avait de temps en temps, puisqu'on allait au cinéma !"

On est pris, à nouveau, par la magie du Verbe et le côté pétillant de sa pensée : 

"On vous dit que la vérité est au fond du puits de la culture. Quand elle reçoit de trop gros in-folio sur la tête, la vérité, dans le fond du puits, étouffe. Et de ceux qui l'étouffent, on dit qu'ils sont des puits de science".

J'ai noté un grand nombre de passages, mais je m'arête là, en vous recommandant vivement la lecture de ce petit bijou.

Juste encore une réflexion de Pozner :

"Je me demande comment Prévert parlait dans sa jeunesse. Il n'est sûrement pas venu au monde orné de toutes ses plumes. L'animal a dû s'éployer, la machine se roder. Non qu'il s'imite, qu'il joue à être Prévert : il l'est devenu, depuis longtemps. Il continue à l'être et à le devenir. Les mots lui viennent tout seuls ou plut^t, leurs jeux lui sont familiers comme colin-maillard ou autos tamponneuses, il n'a pas à se forcer. Il ne les utilise pas pour être drôle, mais pur faire rire de choses drôles, de choses tristes, pur caresser ou pour frapper, serrer des mains amies, briser les portes verrouillées de domaines ennemis - églises, casernes, palais d'injustice - qui laissent une si forte empreinte sur le vocabulaire : pourquoi le vocabulaire ne rendrait-il pas l'impolitesse ? Le propre de l'écrivain, c'est de jouer avec les mots, m'eme si le sale du banquier est de jongler avec les chiffres."