jeudi 14 août 2014

Laurent Gaudé : LE SOLEIL DES SCORTA, Actes Sud, 2004


Le soleil, c'est celui qui accable les habitants de Montepuccio dans le Sud de l'Italie, mais c'est aussi Carmella, qui brûle les non-dits et les secrets en se confiant - chez les Scorta on ne se confesse pas - au curé du village. 

Mais ce qui caractérise surtout les Scorta, c'est leur soif ! soif de revanche face à la pauvreté, à l'exclusion, au mépris, dans lesquels les tiennent les autres habitants.

Une Saga familiale forte, rude, aride, mais riche du lien indestructible qui relie Carmella à ses frères, au-delà des mariages, des enfantements et des enterrements.

"Tu n'es rien, Elia. Ni moi non plus. C'est la famille qui compte. Sans elle tu serais mort et le monde aurait continué de tourner sans même s'apercevoir de ta disparition. Nous naissons. Nous mourrons. Et dans l'intervalle il n'y a qu'une chose qui compte. Toi et moi, pris seuls, nous ne sommes rien. Mais les Scorta, les Scorta, ça, c'est quelque chose. C'est pour ça que je t'ai aidé. Pour rien d'autre. Tu as une dette désormais. Une dette envers ceux de ton nom. Un jour, dans vingt-ans peut-être, tu t'acquitteras de cette dette. En aidant un des nôtres. C'est pour cela que je t'ai sauvé, Elia. Parce que nous aurons besoin de toi quand tu seras devenu quelqu'un de meilleur - comme nous avons besoin de chacun de nos fils. N'oublie pas cela. Tu n'es rien. Le nom des Scorta passe à travers toi. C'est tout. Va maintenant. Et que Dieu, ta mère et le village te pardonne."

L'injonction d'un des frères de Carmella à son neveu montre bien que chacun des membres de cette famille est conscient de l'importance et de la nécessité de se soutenir les uns les autres, seul moyen de garder leur place au sein de la petite communauté.

Dans l'Ouragan j'avais admiré la capacité de Gaudé de donner à ses phrases le rythme de la tempête et de créer par son style l'atmosphère de l'instant. J'ai retrouvé ce bonheur à la lecture de ce roman. Les gens sont simples, la terre est aride, la mer est complice, l'écriture de Gaudé aussi.

Un auteur qui me ravit à chaque fois.



mercredi 13 août 2014

Anna Enquist : LE SECRET, Actes Sud, 2001


Le jour où Dora Dierks fait installer un grand piano noir dans la maison des Pyrénées où elle s'est retirée, tout son passé revient. L'instrument auquel elle a voué sa vie, la pousse à se souvenir. 

Dès l'enfance, elle s'accroche au piano comme à une bouée de sauvetage et développe un talent hors du commun. Dès lors, elle fuit la réalité de la guerre, l'indifférence de son père, la présence de son frère trisomique, et se réfugie dans la virtuosité.

Parallèlement, Anna Enquist introduit les réflexions de l'ex-mari de Dora, qui traverse la France dans l'intention de la rencontrer et de savoir ce qu'elle est devenue depuis leur séparation. 

Il y a dans ce roman qui se lit agréablement de belles envolées sur le plaisir qu'offre la maîtrise d'un instrument et le travail inlassable que cela exige :

"A entendre la façon dont tu maintiens la cohérence de l'ensemble en ajustant entre eux les vingt-quatre tempos, tu rendrais jaloux tout musicien doué d'oreille. Moi y compris. C'est un don que tu dois préserver. Le secret de Dora Dierks. Garde-le bien."

Dora comprend de quoi il parle et acquiesce avec un sourire. Biermans poursuit. "Maintenant, je vais te révéler le secret de Biermans. Quand je t'écoute ainsi, je pense : Chopin l'emmène. Elle est peut-être en train de penser à son père décédé. Bientôt tout le bazar lui échappera des mains. elle est trop sensible ! Rien ne s'y oppose. c'est bon. Mais !! Sous cette sensibilité, il doit y avoir une deuixème couche, un filet sans trou, toujours présent. Ce filet, on le crochète tout en étudiant. A chaque accord, à chque phrase, on sait : maintenant, je fais ça, maintenant, je lance l'articulation de mon bras dans le jeu, maintenant, uniquement les doigts, aller à la mesure suivante, la soutenir pour que l'accent s'y accroche suffisamment l'instant d'après, détende le poignet et ainsi de suite. Tout ce qu'on ressent doit être traduit dans la technique. Le jeu doit être bilingue. Qui ne peut jouer qu'en langage technique est sans doute virtuose, mais ennuyeux. Qui ne s'exprime que dans le langage de la sensibilité est expressif, mais débridé. Le fin du fin, c'est le bilinguisme. Ajoute cela à ton propre secret, et aucun auditeur n'éteindra sa radio tout à l'heure".

Mais détrompez-vous. Le vrai secret de Dora est tout autre et ce n'est qu'à la fin du roman que vous l'apprendrez.

Comme je le disais, c'est bien écrit, ça se lit bien, mais il manque à cette histoire un souffle, une dynamique et arrivée à la fin de la lecture il ne m'en reste pas grand chose. S'il s'agissait d'un vin, je dirais qu'il est un peu court en bouche. Dommage.