vendredi 10 février 2012

Thomas Favier : CONTES ET FABLES, Ed. Société des Ecrivains, 2011



Envoyé par Les agents littéraires, je vous livre ci-dessous la critique que je leur ai fait parvenir, tout en regrettant, pour une première collaboration, d'avoir  été si mauvaise.  Je m'en excuse aussi auprès de l'auteur, mais je pense qu'il a été vraiment très mal conseillé, quand on lui a laissé publier ces textes.



Il est bien difficile de critiquer cet ouvrage, tant l’on a peur de vexer un jeune auteur, qui visiblement en est à ses tous débuts d’écrivain. 

Un recueil contenant cinq « fables » et trois contes. 

Cinq fables, donc, dont certaines en vers d’autre pas, n’ayant pas de morale à nous enseigner, même si l’une d’entre elle, (La vache et la moto) nous fait sourire, car on imagine que cette mésaventure est arrivée à l’auteur. Pour le reste, une histoire de chats qui ne nécessitaient pas cette mise en forme, tant l’absence de poésie se fait sentir, une histoire de mouches, où le style est peut-être un peu plus travaillé (mais peut-être faut-il rappeler ici, que la poésie ne se définit pas seulement pas une certaine liberté de syntaxe) et pour finir deux poèmes « gore et trash » où il est question de furoncle, de cirrhose, de cancer et autres pustules ! 

Passons aux trois contes. Le premier (Ravanaja), nous raconte l’histoire d’un jeune homme contraint par la coutume de son pays à partir en quête de la fleur Harmonie qui se trouve éclore en plein hiver, au sommet d’une montagne inaccessible. Le thème de la quête, du dépassement de soi, du sens du sacrifice, est bien connu dans la tradition des conteurs populaires et celui-ci n’y déroge pas. Mais alors que le plus souvent c’est l’occasion pour l’auteur de magnifier les valeurs d’une communauté humaine, on en réduit ici, à subir une unique description des paysages traversés par le héros et des obstacles qu’il rencontre, sans jamais trembler pour lui, sans jamais pouvoir s’identifier, sans jamais douter de l’issue qui l’attend. 

Le deuxième conte (La prison du karma) est lui aussi inspiré par un thème classique : celui de l’éternel recommencement. Un vieil homme solitaire sent sa dernière heure arrivée et va s’étendre sous un arbre pour attendre la mort. Il va être englouti par les racines de l’arbre, mais renaîtra au printemps suivant sous la forme d’un jeune homme. Ce dernier essaiera de vivre parmi ses semblables, mais recherchera à nouveau la solitude, et se retrouvera lui aussi, au seuil de sa vie, au pied du même arbre…. Une jolie histoire, mais le style ! 

« Au neuvième jour qui succéda aux trois premiers mois du printemps, l’excroissance se détachât totalement de son géniteur. Dès que le dernier lien entre l’arbre et celui-ci céda, le contact de l’air eut un effet étrange sur l’homme de bois sorti du tronc, comme une alchimie transformant la fibre ligneuse en chair, les circuits de sève en circuits de sang. A la fin de la transformation, l’homme qui se tenait désormais là, né du cèdre, n’était autre que le vieillard mort à l’automne, à la différence que la longue digestion au cœur des fibres de l’arbre lui avait ôté la fatigue, les années et la mémoire. »

Quant au troisième conte, (Boris), l’auteur nous entraine dans un monde imaginaire, à la suite d’un « prodige du commerce » nommé Boris. J’ai eu beau lire et relire ce texte, je n’ai toujours pas compris où l’auteur voulait en venir. J’ai comme l’impression qu’il a opéré des coupures dans un texte plus long et qu’il a oublié de faire les raccords. 

Je suis désolée d’être aussi sévère, mais je me demande vraiment, si Thomas Favier est fait pour l’écriture. Je lis dans la courte présentation qu’en fait l’éditeur, qu’il compose de la musique. Je crois qu’il devrait vraiment s’attacher à travailler cet art, plutôt que de poursuivre sur la voie de l’écrivain.

mardi 7 février 2012

Yasmina Khadra : LES SIRENES DE BAGDAD, Julliard, 2006


Après Les Hirondelles de Kaboul, et L'Attentat, Yamina Khradra reste au  Proche Orient pour continuer de lutter contre l'incompréhension qui caractérise les relations entre l'Occident et cette région si proche et pourtant si mal connue .

L'auteur écrit à la première personne et se met donc dans la peau d'un jeune Bédouin, revenu vivre au village suite à la fermeture de l'université de Bagdad, un jeune qui s'ennuie et que, jusqu'ici, la guerre menée par l'armée américaine n'a que très peu touché. 

"Mais comme le dit le proverbe ancestral, si tu fermes ta porte aux cris de ton voisin, ils te parviendront par la fenêtre.  "

Il ne suffira pas de deux bavures terribles, il faudra que l'honneur de son père soit bafoué, pour qu'il sorte de sa torpeur. 

"J'étais hypnotisé par le spectacle qu'ils m'offraient tous les deux. Je ne voyais même pas les brutes qui les encadraient. Je ne voyais que cette mère éperdue, et ce père efflanqué au slip avachi, au bras ballants, au regard sinistré qui titubait sous les ruades. (...) Mon père tomba à la renverse, son misérable tricot sur la figure, le ventre décharné, fripé, grisâtre comme celui d'un poisson crevé... et je vis, tandis que l'honneur de la famille se répandait par terre, je vis ce qu'il ne fallait surtout pas voir, ce qu'un fils digne, respectable, ce qu'un Bédouin authentique ne doit jamais voir - cette chose ramollie, repoussante, avilissante; ce territoire interdit, tu, sacrilège : le pénis de mon père rouler sur le côté, les testicules par-dessus le cul... (...) Un Occidental ne peut pas comprendre, ne peut pas soupçonner l'étendue du désastre. (...) J'étais fini. Tout était fini. Irrécupérable. Irréversible. (...) J'étais "condamné à laver l'affront dans le sang"(...)"

Il se rend à Bagdad et entre dans la spirale infernale. Même s'il va participer à un attentat, le jeune homme n'est en rien mû par des questions religieuses, et Khadra sait à nouveau secouer notre paresse intellectuelle et notre propension à mettre les gens dans des tiroirs, à étiqueter leurs actions, à fonctionner par cliché.

Et puis j'ai retrouvé le style. 

"Badgad se décomposait. Longtemps façonnée dans l'ancrage des répressions, voilà qu'elle se défaisait de ses amarres de suppliciée pour se livrer aux dérives, fascinée par sa colère suicidaire et le vertige des impunités. Le tyran déchu, elle retrouvait intacts ses silences forcés, sa lâcheté revancharde, son mal grandeur nature, et conjurait au forceps ses vieux démons. N'ayant à aucun moment attendri ses bourreaux, elle ne voyait pas comment s'apitoyer sur elle-même maintenant que tous les interdits étaient levés. Elle se désaltérait aux sources de ses blessures, à l'endroit où le bât de l'infamie la marquait : sa rancune.  Grisée par sa souffrance et l'écoeurement qu'elle suscitait, elle se voulait l'incarnation de tout ce qu'elle ne supportait pas, y compris l'image qu'on se faisait d'elle et qu'elle rejetait en bloc; et c'était dans la désespérance la plus crasse qu'elle puisait les ingrédients de son propre martyre.
Cette ville était folle à lier."

Si le thème du roman est principalement le pourquoi et le comment, un jeune Irakien, va entrer dans le cercle, je dirais même la spirale, du terrorisme, c'est aussi et peut-être surtout, une déclaration de foi quant au rôle des intellectuels, de quelque origine qu'ils soient, afin de tenter d'éviter les désastres et les injustices auxquels nous assistons.

En toute fin du livre, l'auteur fait intervenir un écrivain,   (lui-même ?) venant tenter de ramener à la raison un ancien ami ayant basculé dans le camp des intégristes. On y retrouve le thème du dédain de l'Occident pour les intellectuels du Monde Arabe.

J'ai dévoré ce livre, même si par moments, j'ai dû interrompre ma lecture, tant Khadra sait nous interpeller et nous confronter à nos propres fragilités. 

Mais autant laisser la parole à l'auteur :