lundi 19 novembre 2018

Torgny Lindgren : LE CHEMIN DU SERPENT, Actes Sud, 1985


Un homme est assis, les pieds ballant au-dessus du gouffre laissé par un glissement de terrain qui a emporté sa femme, ses enfants, et sa maison. Il s'adresse à Dieu pour essayer de comprendre si tout cela avait été décidé dès le commencement 

Plus que de la révolte, c'est l'incompréhension qui pousse ce paysan suédois de la fin du XIXe s à reprendre le fil de sa misérable vie comme témoignage des efforts pourtant fournis pour ne pas mériter un tel châtiment. Et pourtant, il semble bien que l'homme soit coupable, dès sa naissance, d'une faute originelle qui justifierait le sort auquel le Seigneur lui réserve. 

Torgny Lindgren dresse le portrait d'une société où la religion tient lieu de seule "culture", à travers les psaumes récités en guise d'explication voire de consolation. On imagine un Ingmar Bergman mettant en scène les silences et les non-dits du drame de ce petit peuple, qui se voit déposséder petit à petit de tous ses biens par une bourgeoisie commerçante qui émerge à cette époque-là grâce à l'instauration du crédit. Et lorsque l'argent vient totalement à manquer, alors qu'un mari meurt, la femme, puis ses filles en sont réduites à payer de leur corps.

"Toute une vache qu'a dit maman. Si ça ne suffit pas, alors, je ne comprends plus.
Mais c'était comme s'il faisait des embarras, comme s'il voulait se faire prier pour accepter cette vache
De toute façon, le foin sera fini au mois de mars, qu'a dit maman. On n'en a pas assez. Et alors, qu'est-c qu'on fera ? Tu peux aussi bien la prendre. Quand le printemps arrivera, elle sera seulement une charge pour nous.
Et cette fois il a bien été obligé de s'intéresser à cette satanée vache !
Je peux toujours aller la voir. Ce n'est pur dire. Mais c'est bien parce que tu insistes, Tea.(...)
Mais pour la boucherie ? a essayé maman. Comme vache de boucherie ?.
Elle fait pas beaucoup de viande, qu'il a dit. Reste presque que la carcasse. Comme une claie à sécher le foin. Une pitié.
Et puis il se remettait à regarder maman par en dessous, et on voyait qu'il pensait : Chair."

C'est un roman âpre dans lequel le langage catéchisant des psaumes et autres chants d'église se heurte à celui de cette apostrophe désespérée d'un paysan à peine lettré.  Autant dire que ce dernier ne trouve pas de réponse à son questionnement légitime, même si l'acte que la catastrophe lui a évité de faire pourrait passer pour une intervention de ce Seigneur si lointain. Mais est-ce vraiment une bonté de sa part ?