dimanche 23 juin 2019

Alejo Carpentier: LA HARPE ET L'OMBRE, Gallimard, 1979


Pourquoi donc proposer la canonisation de Christophe Colomb ? La mérite-t-il vraiment ? C'est la question que se pose Alejo Carpentier. Et pour y répondre, il se glisse dans la conscience du navigateur qui, à l'heure de sa mort, attend la venue de son confesseur.

L'auteur retrace, non sans un certain sens de la dérision, les aventures du marin - pas si bon que cela, à ses propres dires -de son obsession à trouver la terre que les Vikings avaient déjà abordée et dont le souvenir traînait encore dans les confins de l'Islande, de sa ténacité à ne jamais dévoiler son secret, de la duplicité de la reine Isabelle et de sa soif de reconnaissance, dut-il pour cela instaurer le commerce d'esclaves.

"Mais le monde était impatient de s'arrondir. Et moi je brûlais d'une impatience pus vive encore, empêtré que j'étais de nouveau dans des imbroglios, des controverses, des cogitations, des démonstrations, des arguties, des discussions - quel merdier ! - des cosmographes, géographes, théologiens, que j'essayais de convaincre du bien-fondé de la haute utilité de mon entreprise : mais, comme toujours, je ne pouvais découvrir mon grand secret celui que m'avait révélé Maître Jacob pendant les nuits blanches de la Terre de Glaces". 

Ecrit dans une langue où le rythme des phrases rappelle les ondulations de la joule, ce roman se termine par un pied de nez à la grande Histoire et au mythe qui a permis à une civilisation de se croire supérieure et donc dans son bon droit.

Du grand art littéraire et une lecture jouissive !

mercredi 5 juin 2019

Inès Cagnati : GENIE LAFOLLE, Denoël 1976


Marie suis inlassablement sa mère, d'une ferme à l'autre, sur des chemins de terre où elle peine, de ses petites jambes à garder le rythme. A peine croit-elle la rejoindre, que celle-ci reprend sa route en lui disant : "Ne reste pas dans mes jambes".

Inès Cagnati utilise le "je" et se met dans la peau de cette petite fille qui souffre de voir sa mère, que tout le monde appelle "Génie la folle", s'échiner aux travaux des champs, ne jamais se plaindre, ne parler à personne et garder toujours un regard lointain et vide. 

Comme une complainte l'auteur dit et redit la peur de la petite de voir sa mère la laisser, ne pas revenir, mais toujours la mère revient et même si la seule chose qu'elle dise soit "couche-toi", le coeur de Marie "devient fou".

"Enfin, le soir venait. Je rentrais à la course. J'attendais son retour dans le chemin, assise sous l'églantier aux branches retombantes. Dès que j'entendais son pas, je me dressais, le coeur four. Arrivée près de moi, elle disait : 
- Rentre à la maison.
et je rentrais derrière elle, avec Rose.
Je voulais toujours lui dire que j'étais là à l'attendre, que j'étais si contente, si contente qu'elle soit revenue ce soir encore, que moi je l'aimais. Mais elle avait le visage plein de silence."


Mieux que n'importe quel traité Inès Cagnati nous parle de la condition féminine, de la place qui lui est réservée dans une société patriarcale où la maternité est souvent un moyen de  la dominer et de la posséder, où la révolte contre cet ordre se paie par la mise à l'écart et où la "folie" vaut mieux que le déshonneur d'une famille.