mercredi 18 janvier 2012

Antonio Skarmeta : T'ES PAS MORT !, Seuil, 1982


L'exil, Antonio Skármeta l'a bien connu, mais à un âge bien plus avancé que celui de Lucas,  héros de ce très court roman.

Réfugié politique à Paris, 14 ans, un père et une mère à qui il arrive de pleurer lorsque les nouvelles arrivées du Chili annoncent la mort d'un ancien camarade de lutte, un besoin essentiel de s'intégrer malgré la pauvreté, l'apprentissage du français à l'aide des chansons yéyés, l'amitié et un premier amour, voilà le monde de ce jeune adolescent.

Il n'est finalement pas bien différent de ces camarades de classe, si ce n'est qu'il sait qu'il n'a pas le droit à l'erreur au risque de se faire expulser, lui et sa famille. 

"Je crois que si j'étais pas devenu aussi copain avec Edith, je serais parti en Grèce avec Homère et Socrate. Un autre jour, de bon matin, au moment où j'allais partir au lycée, je trouve mon père dans la cuisine en train d'écouter les informs plein pot. Il commençait déjà à comprendre un peu le français. Il met un doigt sur sa bouche pour que je me taise et je me beurre une tartine pour pouvoir écouter tranquillement avec lui. A la fin du bulletin, mon papa pouvait à peine respirer.
- Qu'est-ce que tu as compris ?, il me demande.
- Que Papadopoulos il s'est trissé, je lui réponds.
- Et tu t'es bien lavé les oreilles ce matin ?
- Oui papa.
- Et qu'est-ce que tu as entendu à la radio ?
- Ce que je t'ai dit, papa, que les fascistes grecs ils se sont fait la malle."
Mon papa alors s'est mis à secouer lentement la tête et à boire son café à petits coups mais jusqu'à la dernière goutte. Moi, je ne bougeais pas et le vieux, lui, il était complètement parti. Je me suis même dit : "Et s'il allait mourir ?".  Au bout de cinq bonnes minutes il relève la tête et il me dit : "Qu'est-ce que tu fais planté là ? Qu'est-ce que t'attends pour fêter ça avec ton papa" ?". Alors là, pour le coup, celui qui a failli mourir c'est moi."

Sans grandes phrases, dans le langage d'un adolescent, Skármeta nous fait aimer ce gamin en train de passer à l'âge adulte.



mardi 17 janvier 2012

Romain Gary : LE GREC, L'Herne, 2007



L'Herne a décidé de publier dans ses "Cahiers" plusieurs textes inédits et inachevés de Romain Gary, et on ne peut que s'en réjouir.

Celui-ci raconte le début de l'histoire d'un jeune Américain, ancien nageur de fonds qui passe d'île en île, vit d'expédients, trafique des antiquités et ponctionne les riches Anglais installés en Mer Egée. 

"Mais la colonie étrangère, presque entièrement anglaise, n'était pas indûment inquiète. Il s'agissait de gens qui tout au long des cinquante dernières années avaient joué au bridge en compagnie de l'histoire, pendant que le vieux monde auquel ils appartenaient se transformait à une vitesse si effrayante que les majordomes anglais étaient en passe de devenir une espèce menacée." 

Il y est beaucoup question de mer, et ce passage m'a fait penser à la fin du film "Le Grand Bleu".

"Il n'y avait pas de courants à cet endroit, le seul danger provenait de ces phénomènes qui surviennent souvent quand vous vous trouvez trop loin du rivage dans une eau limpide la nuit, tout à coup vous avez le sentiment que vous ne voulez plus retourner à terre, il faut vous rappeler que c'est un tour que la mer joue souvent à ceux qui l'aiment trop".

Mais on est en Grèce, à l'époque de la dictature des Colonels et la lutte pour la liberté ne va pas tarder à rattraper le jeune Billy.

"Le lendemain matin, toute une section de l'île, au nord de la jetée, fut mise hors limites par un cordon de policiers et l'on vit arriver un bateau sur le pont duquel se trouvaient des centaines de prisonniers; Billy les regarda du haut du vieux château construit quelque sept siècles auparavant par les croisés français. Les prisonniers attendirent, assis sur le pont, pendant qu'un nouveau groupe d'une cinquantaine d'hommes de l'île étaient escortés à bord par des gardes armés de mitraillettes. Après quoi, le bateau appareilla et les toursites purent de nouveau circuler dans cette partie de l'île et se donner du bon temps, en prenant des photos du vieux château, ou bien en plongeant du haut des rochers, et l'écho de leurs rires et de leurs voix, en allemand, en anglais, en français retentissait parmi les rochers  brûlants, les murs blancs et les pierres du château. Billy remarqua l'absence de quelques visages familiers, le long des rues pavées, et il vit sangloter des femmes drapées dans des voiles noirs, et Petro se saoûla à tel point qu'il dut être emporté hors de la tavernes par des amis, et les petites églises étaient si pleines de gens qui priaient et chantaient qu'on avait presque l'impression qu'elles allaient se soulever du sol et s'envoler vers le ciel, sur les ailes d toutes les prières."


On retrouve le plaisir des mots, la capacité qu'a Gary de dire beaucoup en étant le plus concis possible. 

Si ce style vous plaît, n'hésitez pas à lire cette ébauche de roman. Vous ne connaîtrez pas la fin de l'intrigue, mais vous aurez un instantané de la Grèce de la fin des années 60, et de la lutte contre la junte au pouvoir.



lundi 16 janvier 2012

Vassilis Alexakis : JE T'OUBLIERAI TOUS LES JOURS, Gallimard, 2005


Dans ce roman, Vassilis Alexakis prend congé de sa mère, morte depuis plusieurs années, dans une longue conversation alimentée par la relecture de leurs correspondance : les lettres qu'il lui a envoyées d'abord, puis celles qu'il en a reçues.

Installé à Tinos pour une exposition de ses dessins et peintures, l'auteur tient le journal de ses sentiments, de ses réflexions, de ses souvenirs. Tinos l'île natale, l'enfance, l'exil à Paris, les premiers articles dans la presse française, le premier roman, sa vie présente.

Dès qu'il aborde les lettres signées par sa mère, il semble redécouvrir cette femme, si proche de l'image qu'il en a gardée et pourtant si indépendante de ses propres souvenirs.

"J'ai retrouvé ton écriture avec la délectation qu'elle m'a toujours procurée. Je me suis souvenu que je traduisais tes lettres à Chantal et qu'elle les attendait avec la même impatience que moi. tu notes méthodiquement tous les événements qui se sont produits au cours de la semaine. Tu cultives la concision, l'ellipse. Certains jours ne donnent lieu à aucun commentaires : ce sont ceux qui t'on particulièrement peinée. Tu te doutes bien que si j'avais été à ta place, j'aurais surtout parlé de ces journées. Toi, tu ne protestes pas. Je n'ai pas hérité de ton stoïcisme".

Et puis, il lui raconte la suite, comment le monde a changé depuis sa disparition, il lui donne des nouvelles des membres de la famille et  il lui parle de son père, qu'il ne nomme jamais comme son mari. 

"Vous suivez des chemins différents. Vous vous rencontrez de temps à autre comme peuvent se combiner sur la grilles des mots croisés deux mots sans aucun rapport entre eux. Vous auriez peut-être divorcé si votre entourage était moins conservateur et si vous aviez un peu plus d'argent."

C'est un roman tendre, où l'on retrouve la capacité d'Alexakis de se raconter en mêlant son actualité d'écrivain en train d'écrire  à ses souvenirs, ses impressions et ses sentiments. Cela tient plus du journal que du roman, avec parfois une petite touche de narcissisme.

lundi 2 janvier 2012

Amélie Nothomb : JOURNAL D'HIRONDELLE, Albin Michel, 2006

Voilà un livre que je ne sais plus par quel bout prendre. L'auteure ne dit-elle pas elle-même que "C'est une histoire d'amour dont les épisodes ont été mélangés par un fou". ?

Un fou qui parce qu'il a perdu toute sensation, tout sentiment même, se lance dans le meurtre sur commande, sans états d'âme, mais pour tenter d'éprouver son corps et... se prouver qu'il est encore en vie.

"Que s'était-il donc passé ? Je me rappelai que mon coeur battait très fort. Mon sang affluait aux endroits importants. Ce qui dominait était le sentiment délectable de l'inconnu : je faisais du neuf, enfin."

Plus il tue, plus il lui faut tuer. Il instaure le "fast-kill" mais refuse de se considérer comme un serial killer : "Je ne préparais pas longuement mes meurtres avec mille détails maniaques, je tuais n'importe que pour obéir à une exigence hygiénique : j'avais besoin de mon assassinat quotidien comme d'autres de leur tablette de chocolat noir."

Il aurait pu continuer encore longtemps comme cela, s'il n'avait tué celle qu'il décide d'appeler hirondelle, celle qui tenait un journal hors du commun des filles de son âge, celle qui a elle-même tué pour préserver l'intimité de ce cahier.

"Un instant, je songeai à remettre le journal intime dans la serviette. Après tout, c'était à que je l'avais trouvé. Je ne pus m'y résoudre. Ce cahier était déjà mon trésor. Et puis, en quoi le chef pouvait-il s'intéresser aux écritures d'une jeune fille qu'il n'avait pas connue et que j'avais tuée ?"

Je ne vous en dis pas plus sur l'intrigue, tant Amélie Nothomb maîtrise la chute de chacun de ses romans. 

J'y ai retrouvé son style inimitable, son sens de la formule et du retournement, son humour grinçant et froid. Bref, un vrai Amélie Nothomb !