jeudi 26 février 2015

Jean Teulé : FLEUR DE TONNERRE, Juilliard, 2013


Jean Teulé nous emmène dans la Bretagne du XIXe siècle, encore empreinte  de ses croyances celtiques, de ses superstitions teintées parfois d'un christianisme de pacotille, d'une terre qui a bien de la peine à se sentir française. 

Avec la truculence qu'on lui connaît, il nous raconte la vie d'Hélène Jégado, qui fût une serial killer avant l'heure ! Les crimes se succèdent et se ressemblent : même mode opératoire, même détermination, même absence de motif. Ce qui est le plus étrange, c'est l'incapacité des "autorités" médicales de l'époque de faire le lien entre les décès et la présence de cette cuisinière si spéciale. Là aussi, le manque de connaissance, mais surtout la peur des épidémies, le fatalisme et les superstitions ont leur rôle à jouer de même et surtout un certains mépris pour "les petites gens".

"Ne faisant aucune distinction, elle empoisonne comme par distraction ainsi que si elle lançait des graines aux pigeons. Pour hommes et femmes qui retournent vers le centre de la place, le trépas approche. Lumière de l'hôtel dans le dos, la gigantesque ombre herculéenne de Fleur de tonnerre couvre la place du Bout du Monde. Le docteur Revault-Crespin sort de l'immeuble à pans de bois en prescrivant à Louis Roussel qui l'accompagne : "Donnez-lui matin et soir une forte dose de magnésie. C'est un contrepoison. Je ne pense pas que ça suffira, mais peut-être se remettra-t-elle a trembler", puis il s'étonne des crève-la-faim vomissant sur la place.(...) Comme un écho, au centre de la place entourée de hautes maisons, leurs râles se confondent en une profonde unité.
- Oh, diagnostique le médecin inquiet, voilà sans doute sur Rennes le retour de cet ignoble choléra qui n'a à nous offrir qu'une sale et puante mort. Il n'y aura plus de plaintes marmonnées aux coins de la place par ces grelotteux affamés. Ils vont devenir silencieux. Bonsoir, monsieur Roussel..."

Ce n'est pas le roman de Jean Teulé que je préfère, mais j'y ai retrouvé sa verve, sa capacité à reproduire la gouaille et le langage populaire, à raconter l'amour physique avec gaillardise et à me faire sourire tant son humour est décalé. 

C'est amusant, je remarque que le 26 février c'est sa date de naissance. Alors bon anniversaire à lui !

dimanche 22 février 2015

William Boyd : A LIVRE OUVERT, Seuil, 2002


William Boyd réussit un tour de force : écrire le journal d'un autre écrivain. Et on y croit !

Mais ce roman, car il s'agit bien d'un roman, c'est aussi la revue des grandes étapes du XXe siècle, des grands personnages de la littérature et de l'art. 

Commencé à l'âge de 12 ans, le journal de Logan Montstuart se termine peu avant sa mort à 85 ans. Mais aucune linéarité dans cette vie avec "ses (mes) hauts sporadiques et  mes bas atterrants, mes brefs triomphes et mes terribles pertes". Si le jeune Logan se demande comment il fait pour être un si bon menteur, face à son journal il décide de ne rien se cacher, de ne rien enjoliver, de se regarder sans complaisance. Et du coup, on l'accompagne, on s'amuse avec lui, on pleure avec lui, on voyage avec lui.

De la dépression de 1929 à la bande à Bader, William Boyd entraîne son personnage dans la guerre civile espagnole, dans le service de renseignements anglais durant la deuxième guerre mondiale, des galeries d'art parisiennes à celles de New York, sans jamais oublier qu'il s'agit bien d'un journal intime. Les sentiments, amitié, amour, déception, jalousie, dépression ne sont jamais oubliés. Si Logan Montstuart se révèle écrivain modeste, son roman le plus achevé reste certainement sa vie. 

"Content d'avoir repris ce journal même si son objectif est plus sinistre. Je crains qu'il ne devienne un document sur le déclin d'un écrivain; un commentaire de la scène littéraire londonienne vue par un plumitif démodé. Ces actes terminaux dans la vie d'un écrivain ne sont en général pas racontés parce que la réalité est trop honteuse, trop triste, trop banale. Mais, au contraire, il me semble plus important maintenant, après tout ce qui s'est passé autrefois, de décrire les faits tels que je les vis."

Pas une minute d'ennui, pas une page de trop ! Et puis surtout, surtout, toute l'élégance british, même dans les pires moments.