jeudi 20 septembre 2018

Joël Dicker : LA VERITE SUR L'AFFAIRE HARRY QUEBERT, Ed. LeFallois, l'Age d'Homme, 2012


Trois écrivains aux prises avec leur mal d'écrire : le fameux Harry Quebert, devenu célèbre en 1976 grâce à la publication d'un livre d'amour entre un homme de 35 ans et une jeune fille de 15 ans, le dénommé Marcus Goldmann (même nom, même prénom que dans le précédent ouvrage de l'auteur), élève et ami de Quebert, qui se fait fort de disculper son mentor du meurtre de la jeune fille et enfin, Joël Dicker lui-même, qui ne nous laisse pas oublier que c'est lui qui tire les ficelles, mêle et démêle l'intrigue de le "La véritable vérité vraie sur l'affaire Harry Quebert".

Conçu comme une série télévisée, y compris les moments de suspens pour éventuelle coupure publicitaire, ce roman en 31 chapitres - suivant les 31 conseils de vie et d'écriture du professeur à son élève - ressemble à ce que pourrait être un atelier d'écriture, tant Joël Dicker fait tout "tout juste" pour devenir un auteur à succès, ce dont il n'arrête pas, par ailleurs, de clamer quant à ses personnages.

"Les écrivains qui passent leur nuit à écrire, sont malades de caféine et fument des cigarettes roulées sont un mythe, Marcus. Vous devez être discipliné, exactement comme pour les entraînements de boxe. Il y a des horaires à respecter, des exercices à répéter : gardez le rythme, soyez tenace et respectez un ordre impeccable dans vos affaires. Ce sont ces trois Cerbères qui vous protégeront du pire ennemi des écrivains.
-Qui est cet ennemi ?
- Le délai. (...)"

Je suis sûre que ce jeune auteur applique à la lettre les 31 conseils qu'il se donne à lui-même et je dois bien avouer, que malgré un certain agacement j'ai lu ce livre très rapidement. Le "page turner" marche donc. Mais je n'ai pu m'empêcher de sourire devant les gesticulations dans lesquelles Joël Dicker se lance dans la dernière partie pour bien nous prouver qu'il avait pensé à tout et que c'est lui le maître de l'ouvrage et du spectacle et que si l'on croit avoir deviné qui était vraiment l'assassin on s'est complètement trompé et pas qu'une fois puisque il fait bondir et rebondir la culpabilité sur tous les protagonistes de l'histoire.... 

Après plus de 800 pages, il prétend nous rendre triste que l'histoire se termine, car "Un bon livre, Marcus, est un livre que l'on regrette d'avoir terminé"... Pour ma part je n'en suis pas désolée du tout, alors ?

Il faut espérer, qu'avec les années, cet auteur perdra son côté "premier de la classe" et qu'il saura mettre sa réelle faculté d'écriture au service d'un peu moins de prétention.

jeudi 13 septembre 2018

Richard Ford : ENTRE EUX, Ed. Olivier, 2017


Suite à la mort de sa mère, Richard Ford avait fait paraître en 2003 un petit récit biographique sur cette dernière. En 2017, il décide de compléter ce récit par celui de son père, qu'il a relativement peu connu, puisqu'il est mort alors qu'il avait une quinzaine d'années.

C'est la réunion de ces deux textes qui fait l'objet de ce volume. Ce qui en fait l'intérêt, c'est qu'il ne s'agit pas vraiment d'une biographie au sens propre du terme, mais plutôt la perception que l'auteur a de ses parents, par ce qu'ils lui ont raconté, par ce qu'ils lui ont caché, et surtout par le lien de confiance et d'amour qui l'a lié à ces deux êtres.

Il porte un regard sans pathos et avec la distance certainement due au temps qui passe,  comment, il a su s'insérer entre ces parents qui formaient avant tout un couple. 

"Ils ont dû commencer à se dire qu'ils n'auraient pas d'enfants, puisque, en effet, il ne leur en venait pas. Je ne sais pas jusqu'à quel point ils en étaient affectés, ni si ma mère a fait des fausses couches, ou même s'ils "essayaient". Ce n'étaient pas des gens qui se battaient contre leur destin, ils avaient plutôt tendance à prendre la vie du bon côté, dans la mesure du possible."

"Et puis, il y avait moi. Peut-être que je serais pas enfant unique. Y pensaient-ils ? Se demandait-il, se demandaient-ils tous les deux si ne pas voir mon père tous les jours aurait une incidence sur ma manière de grandir ? Et si oui, laquelle ? Est-ce que ça poserait problème que "le père" ne soit pas là tout le temps ? Comment allait-il se charger de mon apprentissage ? Une forme de présence était-elle possible malgré tout ? Il n'avait pas eu de père, lui-même, il avait grandi sans qu'on lui ait appris grand-chose. Des gamins qui grandissaient avec un père absent, il devait y en avoir d'autres, non ? Et elle, pourrait-elle compenser son absence ? Il est clair qu'en attendant ma naissance, ils avaient pris les choses comme elles venaient. Il s'aimaient, ils m'aimeraient. La présence de l'amour suffirait. Nous allions être heureux. C'est de cette manière, une manière que j'estime excellente à l'heure même où j'écris, que ma vie a commencé, ses grandes lignes définies pour longtemps."

Comme on le voit on est loin des récits psychologisant et cela fait du bien !!!

A noter, que cette édition présente une série de photos qui nous rendent cet homme et cette femme encore plus présents.

lundi 10 septembre 2018

Alexandre Papadiamantis :L'ILE D'OURANITSA et RÊVERIE DU QUINZE-AOÛT, Cambourakis, 2013,2014

Une très bonne initiative de la part des éditions Cambourakis que d'avoir réédité cette séries de 17 nouvelles écrites entre 1888 et 1908 par Alexandre Papadiamantis. 

Je connaissais cet auteur pour avoir lu, il y a déjà bien longtemps son roman "Les petites filles et la mort". J'y ai retrouvé une société rude, empreinte de principes et de rigidité tout orthodoxes. Des vies soumises aux préceptes religieux, à la rigueur des rites, où la notion même de  liberté intellectuelle n'a aucune place, ou nécessite une transgression périlleuse. De l'enfance à l'âge adulte, les hommes luttent contre la tentation des chemins de traverses, contre la tentation du retrait de la société, les femmes quant à elles n'existent que par leur statut de vierges, épouses et surtout de mères. 

Et pourtant ! Ces pages sévères sont traversées de fulgurances sensuelles, d'élans amoureux, d'émerveillements face à la mer et à la nature. Chaque nouvelle nous raconte le moment où le personnage fait un pas de côté.

"Sous le Chêne royal" nous conte l'amour inconsidéré d'un jeune garçon pour cet arbre δρυς qui, il faut le savoir, est féminin en grec. Il s'échappe de la surveillance de ses parents et 

"J'étais fourbu, en nage, hors d'haleine. A peine arrivé, je me jetai sur l'herbe, me roulai sur les coquelicots et les fleurs des champs. J'éprouvais cependant un bonheur secret, un plaisir merveilleux. Je rêvais en levant les yeux vers les branches épaisses, j'ouvrais et fermais mes lèvres avec volupté au souffle de la brise qui faisait bruire le feuillage. Des centaines d'oiseaux venaient chercher le repos dans la ramure et entonnaient les chants débridés... La fraîcheur, le parfum et la joie faisaient fondre mon coeur... (...)

Il me sembla que l'arbre - car je conservais dans mon sommeil la notion d'arbre - changeait peu à peu d'apparence, d'état et de forme. A un moment, je crus voir à la racine du chêne deux jambes bien galbées, collées l'une à l'autre, qui ensuite se décollaient peu à peu et finissaient par se séparer. Le tronc me parut se remodeler pour prendre la forme d'une taille, d'un ventre, d'une poitrine aux deux seins retroussés avec grâce."

La traduction de René Bouchet fait ressortir le classicisme de la langue utilisée par Papadiamantis, sans tomber dans un style ardu et précieux. Elle rend hommage à celui qui est considéré comme le père de la littérature moderne en Grèce. 

samedi 1 septembre 2018

Anne Cuneo : CONVERSATION CHEZ LES BLANC, Bernard Campiche, 2009



Peu de francophones se rappellent d'Anne-Marie Blanc, comédienne  Romande, mais ayant fait sa carrière en Suisse alémanique et principalement au Schauspielhaus de Zürich.  Ce fut pourtant une vedette qui n'a cessé de jouer, au théâtre comme au cinéma, jusqu'à plus de quatre-vingts ans.

Parce qu'elle ne voulait pas qu'on écrive sa biographie, Anne Cuneo nous raconte une histoire, celle de leur rencontre, de leur amitié indéfectible et de leur complicité. 

Mais c'est un récit à plusieurs facettes, car au cours d'une de leurs conversations sur le manque de rôle pour les comédiennes entre deux âges, Anne Cuneo promis à Anne-Marie Blanc, de lui en trouver un, et à défaut de le lui écrire.
Que n'avait-elle promis-là ? "Les mots de François Simon me hantaient toujours : assurer à un comédien qu'on écrira un rôle pour lui et ne pas le faire c'est comme promettre le mariage, fixer la date et prendre rendez-vous, puis faire faux bond à la mairie".

La quête d'un sujet, d'un personnage qui puisse convenir entraîne l'auteur à chercher à toujours mieux connaître la comédienne et ce qui a forgé sa personnalité. C'est ainsi que mine de rien, nous découvrons par petites touches ce qui fut la vie d'une femme qui a su mener sa carrière de front avec sa vie familiale sans perdre pied, ou se laisser leurrer par les feux de la rampe.

"Si vous deviez nommer quelques rôles qui ont marqué votre carrière, lesquels choisiriez-vous ?"
"Je commencerais par Rosalinde. C'est ce personnage qui m'a en quelque sorte poussée à faire du théâtre. J'ai toujours été très bonne dans ces rôles ambigus, un peu homme, un peu femme. Ca fait réfléchir sur ses propres limites, vous voyez. Je dois me comporter en jeune homme - mais je suis une jeune fille. Jusqu'où je vais ? Mes gestes ? Ma tenue ? Ma voix ? Le costume suffit-il ? Peggy Ashcroft disait qu'on ne peut jouer ces rôles juvéniles là que lorsqu'on est mûr. Moi, j'ai joué Rosalinde à trente ans, et puis je l'ai jouée une seconde fois à trente-cinq ans. J'avais la chance d'être restée svelte, j'avais la silhouette de l'emploi."

Ses débuts au Schauspielhaus permet à Anne Cuneo de revenir sur le rôle  de refuge pour les comédiens Allemands et Autrichiens et de résistance à la propagande nazie que ce théâtre a joué pendant les années de guerre. Elle en avait déjà fait le sujet d'un de ses précédents romans : "La Tempête des heures". 


De recherches en conversations, de moments de dépression en moments de soutien, Anne Cuneo parviendra finalement à écrire cette fameuse pièce, dont elle nous livre le texte et Anne-Marie Blanc la jouera, pour la première fois sur une scène romande, en 1989 à l'âge de quatre-vingts ans. 

Un livre profond, intelligent et intéressant, bien au-delà de la biographie d'une comédienne, largement illustré par des photos de l'artiste. 

Anne-Marie Blanc dans "Gilberte de Courgenay" 1941