vendredi 18 octobre 2013

Lyonel Trouillot : LA BELLE AMOUR HUMAINE, Actes Sud, 2011


"Quel usage faut-il faire de sa présence au monde ?" 

C'est cette question qui revient tout au long du roman et peu importe les réponses possibles, l'important c'est de se la poser. 

Forcément cette question me fait penser au merveilleux "L'usage du monde" de Nicolas Bouvier. Il semble que le voyage soit propice à la découverte d'une réponse.

Ici aussi, Lyonel Trouillot inscrit son thème dans le déplacement. La quasi totalité du roman se passe dans le taxi qui amène Anaïse de Port-au-Prince à  Anse-à-Foleur. Thomas, le chauffeur, lui raconte, à sa manière, comment et peut-être aussi pourquoi, il y a une vingtaine d'année, le grand-père d'Anaïse et son meilleur ami sont morts dans l'incendie de leurs deux maisons jumelles; et elle comprend, comment et pourquoi, son père a quitté  à ce moment-là, sa ville natale. 

Mais Thomas raconte surtout les gens de son entourage, leur manière de voir, de vivre, de s'aimer, si éloignée du mode de vie de la grande ville (américaine?) d'où vient Anaïse.

"Elle est sortie le soir de l'incendie. Elle est revenue en souriant en nous disant à mon oncle et  moi qu'elle n'était jamais allée aussi loin. Elle a aussi dit  mon oncle que jamais, même en joignant leurs forces, ils ne parviendraient à réparer l'irréparable,  redonner vie au passé. A défaut, ils avaient commencé une oeuvre qui valait la peine. Je ne comprenais pas le sens de ses mots. Puis ils m'ont expliqué. Et j'ai vu. Cette nuit-l j'ai compris que, puisque le bon Dieu n'existe pas, il est des hommes qui, sans se prendre pour lui, essayent de faire des choses bien,  leur mesure, en fouillant dans le peu que la nature leur a donné pour accompagner les rêves des autres."

Un livre très fort, profondément humain - le titre ne ment pas - qui nous invite à nous poser à nous-même la question de notre présence au monde.

mercredi 2 octobre 2013

Alice Ferney : PASSE SOUS SILENCE, Actes Sud, 2010


L'attentat du Petit Clamart, je le connaissais de nom, mais je ne savais même plus qu'il avait été perpétré contre le Général de Gaulle par un groupe proche de l'OAS, suite à l'indépendance de l'Algérie.

Dans ce roman, Alice Ferney, raconte comment Paul Donadieu (Jean Bastien-Thiry), fervent admirateur du héros national qu'est Jean de Grandberger (de Gaulle) en vient à participer à un attentat contre lui.

Elle s'adresse à lui, comme pour lui dire qu'elle le comprend, on ne sait pourtant jamais si elle l'excuse. Elle retrace son parcours, elle nous parle de ses convictions, de son sens de l'honneur, de ses espoirs, suite au "Je vous ai compris", de sa désillusion et de sa révolte, suite à ce qu'il considère comme une trahison de la part du Général.

Parallèlement, elle nous montre ce fameux Grandberger, attendant qu'on fasse appel à lui, sûr d'être le seul à pouvoir régler "l'Affaire algérienne", puis comprenant que le sens de l'histoire n'est pas favorable à la poursuite de la domination du Vieux Pays, s'engageant dans la voix des négociations en vue de l'indépendance de cette Terre du Sud. 

"La Terre du Sud s'était éveillée avec l'âme d'une nation ? L'action de pacification n'endiguait pas le mouvement de libération ? Qu'à cela ne tienne ! Personne n'y pourrait rien ! Le général refusait de s'ébahir ou de ratiociner : les états d'âme, non merci. Abandonner cette terre le mortifiait, mais le temps des empires était bel et bien révolu."

Le livre se termine sur un réquisitoire contre la peine de mort. J'ai appris que Jean Bastien-Thiry fut le dernier condamné à mort fusillé, en France. Il semble que, lui aussi, fut fusillé pour l'exemple, les autres conjurés ayant obtenu la grâce présidentielle. 

Ce livre m'a intéressée, d'une part parce que les faits relatés sont historiques, d'autre part parce qu'Anne Ferney, dont c'est le premier livre que je lis, a une véritable écriture. Elle sait choisir ses mots, leur donner un rythme, les mettre au profit de son propos.