vendredi 21 juin 2013

Henri Bauchau : DELUGE, Actes Sud, 2010


Henri Bauchau visite une fois de plus l'âme humaine, dans ce qu'elle a de plus intime, dans ses douleurs, ses doutes, ses folies.

Au travers de l'histoire de Florian, vieux peintre fou, ayant fuit le succès et le commerce lié à son art, et Florence, jeune femme n'ayant vécu jusqu'ici que dans le sillage de sa mère, au point de se croire atteinte de la maladie qui vient de l'emporter.

Par attirance, sympathie et malgré des moments de résistance, elle s'abandonne au service de Florian, pour lui permettre de créer son oeuvre magistrale : le déluge. Elle sera aidée en cela par Simon qui lui non plus n'était pas destiné à la peinture.

On parle d'habitude de l'oeuvre d'une vie, mais dans ce roman, il s'agit bien plus de vivre l'oeuvre. Au fil des jours, puis des mois et enfin des années - le temps passe comme dans un rêve, il n'a pas de profondeur - les trois amis  cherchent, tâtent, ressentent les différentes scènes qu'ils y peignent. Florian devient Noé.

"Nous commençons à travailler avec Florian, il travaille au centre et à notre grande surprise ne nous donne presque pas d'indications. Le ciel devient sombre. La montagne verdoyante qui surmontait notre chantier a perdu tous ses arbres. Elle ressemble à une grande bête écorchée. D'énormes caisses de provision s'élèvent, l'arche est presque terminée. Elle s'élève, gigantesque, dépassant de l'étrave et de la pupe les dimensions de la montagne. Les pluies sont très fréquentes, on peut voir au loin que les rivières sont en train de déborder. tous les animaux de la terre commencent à affluer deux par deux. c'est long, très long. Les  éléphants, les hippopotames, les rhinocéros apparaissent. Les grands carnassiers n'attaquent pas. Il faut équilibrer, et ce n'est pas facile,les deux côtés de l'arche. La pluie tombe de plus en plus fort dans les vallées tandis que les animaux arrivent comme une longue rivière qui remonte en amont. Un grand orage commence à tomber, tous les animaux ont trouvé leur place. L'eau arrive jusqu'au pied de l'arche. Des baleines surviennent  elles ne savent pas si elles sont des poissons. Noé leur dit de rester dans la mer car elles sont trop grandes."

Ecrit à 97 ans, ce roman représente la quintessence des thèmes chers à Henri Bauchau. La psychanalyse, bien sûr, mais aussi, les mythes antiques - bibliques et homériques -le dépassement de soi, la guérison - de quelques maux que ce soient - le respect et surtout, surtout... la liberté.

"Nous faisons s'élever le feu pendant trois jours, il a pris la forme d'une grande flamme qui s'amincit au sommet. tout en haut de l'échafaudage, il n'y a place que pour un seul peintre et Florian y travaille seul. Je cherche à ne pas le regarder quand il approche d'Eve, mais Simon ne peut s'empêcher de le suivre des yeux et son angoisse pénètre en moi. Il me souffle :
- "Il va effacer Eve avec sa flamme, je crois qu'il a aussi une bougie en main..."
Je lui réponds d'une voix ure, crispée ö
- "C'est lui qui a fait Eve, il a le droit !"
- "Mais Florence... c'est la naissance de notre amour"
Je vois la bougie de Florian s'approcher de la toile, la brunir. J'entends Simon crier : "Non.... non !"
Je redis : "Il a le droit".
Simon descend de l'échafaudage, se précipite hors de l'atelier et sort en claquant la porte. Il pleure peut-être.
Tout en pleurant moi-même, je me redis de toutes mes forces : "Il a le droit !".

Ce n'est pas un roman facile. Il est intense. Il vous secoue. Il vous pénètre. Mais Henri Bauchau est profondément humain, on peut lui faire confiance et se laisser aller à l'intérêt et au plaisir de le suivre.

3 commentaires:

  1. merci Armarita
    je sais que ce livre fait partie d'une future grand moment de lecture
    merci de ce beau compte rendue qui confirme mon désir de m'y rendre disponible
    Je suis d'accord avec ce que tu écris sur cet auteur ami Henri Bauchau

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  2. Je l'ai lu... peut-être pas terminé... Mais tes extraits font vibrer quelque chose en moi et je vais le reprendre! Merci!

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  3. Plus j'avance dans l'oeuvre de Bauchau, plus je l'admire et je comprends combien il est libre.

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