samedi 14 août 2010

Fernando Vallejo : ET NOUS IRONS TOUS EN ENFER, Ed. du Rocher, 2005



Un roman tempétueux comme la rivière de Medellín avant qu'elle ne soit maîtrisée et ne devienne un cloaque à l'image, selon Vallejo, de son pays, la Colombie. 

Une langue baroque, pour des propos souvent outranciers, choquants et sans appel. 

Vallejo se laisse entraîner dans le souvenir du dernier voyage qu'il (que le narrateur ?) fait à Medellín pour assister son frère Darío, mourant du sida. Un peu comme une rengaine, qui vous obsède, il passe et repasse sur certains moments, sur certains événements, sur certaines émotions : son arrivée à Médellin, le "non-accueil" de son frère le Grand Couillon, la chambre qu'il occupe dans la maison paternelle, les après-midi à soigner son autre frère, Darío, allongé dans un hamac au jardin. 

"Il (le Grand Couillon) ne m'adressait plus la parole depuis des années et des années, depuis les premières jonquilles. Dans ses tripes, le maître de cet asile avait incubé une haine fermentée contre moi, contre cet amour, son propre frère, celui qui vous parle, qui dit : je. Enfin, on n'y pouvait rien, jusqu'à la mort de Darío, nous étions condamnés à vivre sous le même toit, dans le même enfer. Le petit enfer que la Folle a amoureusement construit de ses mains, peu à peu, jour après jour, en une cinquantaine d'années. Un petit enfer de tradition à l'image des entreprises solides qui ne s'improvisent pas." 

"Les deux petits frères étaient donc réunis et s'entretenaient dans le hamac pendu entre le manguier et le prunier du jardin, sous un drap blanc qui les protégeait du soleil, avec la Mort à leur côté, contre laquelle il n'existe aucune protection." 



Deux femmes seulement dans cet univers : la mère, la Folle, "pondeuse" exécrée de 25 enfants et la mort, avec qui il entretient un dialogue quasi complice, la mort, presque comme une alliée. A travers la haine de la mère, ce sont toutes les institutions (église et particulièrement le pape, le corps médical, les politiciens) qui se trouvent insultées et honnies. Un seul autre membre de la famille adoucit un peu cet enfer au quotidien, le père, mort une année auparavant. 

Le décor et les personnages sont posés, commence la valse des  :
"Tu t'en souviens, Darío ? 
Et comment qu'il s'en souvenait !" 

S'en suivent de grands moments de tendresse et d'amour fraternel inconditionnel. 

"Darío, frangin, le suppliais-je, il faut choisir ce qu'on veut être, dans la vie : fumeur d'herbe, de crack, ivrogne, pédé ou autre chose, mais pas tout à la fois. On ne peut pas. Le corps ne le tolère pas, ni la société indulgente. Alors, décide-toi une bonne fois et tiens-t'en là." 

"Et comment, qu'il s'en souvenait ! Voilà pourquoi je peux dire que si le disparu c'était moi et non pas lui, on n'aurait rien perdu, parce que la moitié de mes souvenirs, les meilleurs, les plus beaux, étaient à lui. " 

"Fume, Darío, fume encore, fume davantage. Rassasie-toi de fumée, et si tu veux délirer, délire, je te suivrai où que tu ailles, aussi loin que je le pourrai, jusqu'au fonds de l'abîme où s'ouvrent les enfers." 

Tout est prétexte à révolte, non pas contre la mort, mais contre la vie et encore plus contre les vivants. Ne prétend-il pas être lui-même déjà mort au moment où il écrit. 

"Cette nuit a été la dernière que j'ai passée là : le lendemain matin, j'ai quitté pour toujours cette maison, et Medellín et Antioquia, et la Colombie et ma vie. Mais la vie, non; la vie, je lui ai dit adieu seulement quelques jours plus tard, quand Carlos m'a appelé à Mexico pour m'annoncer qu'ils venaient de précipiter la mort de Darío, parce qu'il étouffait, n'en pouvait plus et les priait de le tuer. C'est à cet instant-là, le combiné à la main, que je suis mort. La Colombie est un pays chanceux. Elle a un écrivain unique. Un mort qui écrit." 

"La Mort ? Quelle Mort, imbécile d'ange ! La Mort, pour te dire la vérité, m'a toujours obéi de mon vivant. Quant à mon enterrement dans un si illustre cimetière où se sont décomposés tant de mes bien-aimés compatriotes, il ne faut pas y compter, on m'a incinéré à Mexico, ce qui a coûté une fortune en pots-de-vin pour arracher le permis aux services municipaux." 

C'est un roman dérangeant, comme je les aime d'habitude, mais celui-ci laisse comme un sale goût en bouche, comme un dégoût, tant les outrances sont fortes. Il vous oblige à vous arrêter dans la lecture, à le reprendre à peine terminé, à y replonger, pour le "digérer" mais j'en garde, finalement, l'émotion de la force du lien qui lie ces deux frères. 

C'est le premier roman que je lis de cet auteur, mais à la première occasion, je sais que je ne résisterai pas à en lire les autres.

4 commentaires:

  1. Ben, moi ça m'étonnerai que je croche à ce genre de littérature ... Tout ce que tu m'en dis m'en dégoûtes. Je vais aller fouiller dans ma bibliothèque, peut-être bien que j'ai déjà commencé un roman de cet auteur ...

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  2. Vallejo est l'un des auteurs les plus dérangeants qui soient. Son écriture est violente, ses prises de position sont violences (il a été apatrides un moment, ayant abandonné sa nationalité avec la réélection d'Uribe ; il espérait qu'Ingrid de Bétencourt reste aux mains des Farc, etc.), mais... que de tendresse cachée... que de mal-être. Vallejo est sans aucun doute l'un des plus grands écrivains contemporains.

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  3. j'veux lire ce livre en francais!!!

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  4. Je viens de le lire et c'est effectivement un livre dérangeant, mais follement attachant; je me demande comment l'amour peut s'exprimer par la haine, et lequel, dans le fond, l'emporte; œuvre d'un passionné, en tout cas. Etrange. Cohérent avec sa vie: il hait les femmes, la procréation, sa race maternelle (les Rendon), son pays qui de fait est dangereux, et, au sommet de tout, le Pape - incarnation féminine suprême par sa robe blanche, la grande prostituée de Babylone ? qui arrive comme ça, histoire de ne perdre aucun sujet de haine ;) ; il vénère sa grand-mère, aussi religieuse que sa mère qu'il hait. Peut-être aurais-il été un écrivain calme si sa maman s'était limitée à 4 enfants ?

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