samedi 27 janvier 2018

Andreï Makine : L'ARCHIPEL D'UNE AUTRE VIE, Seuil, 2016



Plaisir de retrouver Andreï Makine dans cette Sibérie qui lui est si chère.  Fascination pour la rudesse mais aussi la beauté de la nature qui y domine. Mais quand on lit Sibérie, on pense forcément à la relégation, au goulag et autres lieux de privation de liberté.

Makine sort des images toutes faites en provoquant, en 1952, la rencontre d'un jeune  adolescent, "orphelin" de parents dissidents, envoyé aux confins est de la Sibérie pour y faire une apprentissage de géodésie et Pavel, un homme qui, lui, s'est échappé d'un camp pour s'exiler sur l'archipel des Chantars et tout simplement y Vivre, mais alors avec un grand V, tant tout ce qu'il a connu avant l'archipel ressemble plus à de la survie. 

Le gros du roman est constitué par le récit de Pavel sur ses conditions de détention, mais surtout sur la mission dont il est chargé, avec quatre autres détenus, de capturer vivant un fugitif pour le ramener au camp. 

"L'évadé dut déchiffrer notre tactique. Il avait compris qu'il nous fallait le prendre vivant et que le chien ne serait pas lâché à ses trousses, mais surtout que personne parmi nous n'avais hâte de s'exposer à ses balles. Il ne donnait pas l'impression de vouloir nous distancer ni de se réfugier dans une cache, ce qui eût été facile au milieu des collines et des écheveaux de cours d'eau. Non, il progressait le long de la berge de l'Amgoun, passant dans la forêt quand les terrains marécageux rendaient cette marche riveraine impossible, traversait des petits affluents et, pour la nuit, choisissait un lieu assez exposé où nous ne pouvions par l'aborder sans être vus.  Dans l'obscurité qui d'une encre de plus en plus épaisse, remplissait la taïga, s'allumaient ses feux de bois - des appâts lumineux pour ceux qui seraient venus l'attaquer."

Le récit de Pavel terminé, nous retrouvons le jeune homme  bien des années après. Il a été marqué à jamais par cette histoire et cherche à retrouver Pavel.

"Dans leur exil me fascinait surtout le défi désespéré qu'ils avaient lancé au destin. La belle démence de leur évasion...
Il m'a fallu de longues années pour comprendre : non, c'est notre vie à nous qui était démente !  Déformée par une haine inusable et la violence devenue un art de vivre, embourbée dans les mensonges pieux et l'obscène vérité des guerres. Je me souviens d'en avoir parlé, un jour, à une amie américaine, pacifiste convaincue. Elle rétorqua en plaidant la nécessité des "bombardements humanitaires"... J'ai oublié s'il s'agissait, alors de Belgrade ou de Bagdad. Curieusement, cela me rappela le sujet de la thèse qu'écrivait jadis Pavel Gartsev, oui, la "légitimité de la violence révolutionnaire"...
Ce n'était pas les deux fugitifs mais l'humanité elle-même qui s'égarait dans une évasion suicidaire."

Ce pourrait être un roman d'aventure, mais c'est beaucoup plus, car l'auteur s'interroge sur la signification de ce refus de soumission à l'ordre établi, quel qu'il soit. Il nous entraîne à réfléchir à cet échange entre les deux évadés au moment où ils abordent l'archipel : 

"Et que... qu'est-ce qu'on va faire ici ?" 
La réponse vint, rendant insignifiante tout autre interrogation :
"Nous allons y vivre". 


1 commentaire:

  1. Un compte rendu qui donne envie de lire... J'apprécie la plume de Makine, sa langue déliée et toujours juste et je me réjouis de les retrouver. Merci!

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