vendredi 12 mai 2017

Jacques Chessex : L'OGRE, Grasset, 1973


En visite chez ma mère pour quelques jours, je profite de sa bibliothèque, pour retrouver cet auteur suisse, qui obtint le prix Goncourt avec cet ouvrage.

Emblématique de son oeuvre, ce roman nous plonge dans l'univers tourmenté de Chessex. Jean Calmet, un enseignant de latin au Collège de la Cité à Lausanne, assiste à l'incinération de son père avec une impression de soulagement. Enfin, celui qu'il a tant aimé ne sera plus là pour le rabaisser et le traiter de haut.  

Et pourtant, malgré les cendres bien enfermées dans l'urne déposée au columbarium du cimetière, le regard inquisiteur et justicier est toujours présent, au point de rendre le pauvre professeur impuissant au propre et au figuré. S'il croit trouver un peu de répit auprès de la toute jeune femme qu'il rencontre dans son café préféré, cela n'est que de courte durée et le poids de l'autorité abusive du père s'impose à lui quoi qu'il fasse. 

L'ogre de son enfance le poursuit. Il se rappelle le jeu tant de fois répété.

Fontaine de Berne que Jean Calmet
revoit à l'occasion d'une course
d'école avec ses élèves
"- Pourquoi restes-tu planté devant moi ? s'écrie le docteur qui fixe Jean Calmet dans les yeux en mastiquant sa viande à grandes dents. Un silence pendant lequel les yeux farouches ne le quittent plus.
- Je vais te manger si tu ne t'enfuis pas. Je vais te manger pour mon souper, mon pauvre Jean !
Jean Calmet ne peut pas s'enfuir. Il n'en a pas envie non plus. Il connaît la suite, il l'attend. Il frémit de plaisir et de peur en y songeant. (...)
- Ah, ah, ah, le gros monsieur va manger le petit garçon qui traînait dans la forêt !
Le docteur grimace toujours. Tout à coup avec une agilité incroyable, il lance la patte, attrape Jean Calmet par le collet, l'attire à lui, le ploie sur ses genoux et pose la lame froide sur sa gorge.
- Alors, mon agneau ! crie le docteur. On va lui couper la garguette ! On va le saigner, ce mignon ! (...)
Le bourreau grogne et gronde. La victime s'abandonne et se pâme de plaisir. Au fond de la pièce, dans l'ombre, Mme Calmet, immobile, contemple la scène rituelle d'un regard fixe et sans expression." 

Chessex interroge le rapport à l'autorité paternelle, à la passivité maternelle, à la difficulté de forger sa personnalité dans un milieu où la force et la puissance et le prestige sont la règle. Et tout semble faire accroire que la disparition du tyran n'allège en rien son pouvoir, au contraire.

Il étend son propos à la facilité avec laquelle l'autoritarisme, notamment du nazisme,  a pu et peut encore représenter un moyen de "se venger de son humiliation". 

Chessex ne cherche pas à plaire. Il n'essaie en aucune manière de trouver des excuses à son "pauvre Jean" et n'offre d'échappatoire ni à son personnage, ni à son lecteur et encore moins à lui-même.

3 commentaires:

  1. Un auteur que je ne connais pas. Merci pour ce résumé qui donne envie de connaitre...

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  2. j'ai honte à avouer que j'avais oublié ce livre... une relecture s'impose !

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  3. J'ai bien aimé Le Vampire de Ropraz. Peut-être vais-je me laisser tenter par cet Ogre!!

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