En effet, qu'attendent les singes pour devenir des hommes ?!
Qu'attend l'humanité pour évoluer, qu'attend l'Algérie pour répondre aux rêves qu'elle avait suscités à la libération ?
Sous couvert de roman policier, Yasmina Khadra dresse un portrait cruel de l'état acutel de son pays, où les anciennes "gloires" se sont transformées en "super citoyens exonérés d'impôts" au titre de la "légitimité historique" et qu'on appelle les "rbobas".
Tyran de l'ombre, de sa retraite dorée, M. Hamerlaine tire les ficelles du pouvoir, se fait craindre de la classe politique tout autant que de la presse corrompues.
"Vous êtes un gros patron de presse, et on ne dirige pas ses journaux par télphathie. Les choses mutent sans arrêt et exigent un traitement approprié immédiat. Il y a péril en la demeure, monsieur l'Information et le "printemps arabe" n'arrange rien à rien.
- Je vous assure que je n'étais pas bien du tout, couine Ed, conciliant. J'étais saturé. Il me fallait prendre du recul.
- Allons donc on ne recule plus de nos jours, on régresse."
Si certains se rebiffent et tentent de se faire oublier, la plupart, ministres, préfets, et j'en passe, se plient aux invectives des "rbobas". Le tableau est sombre mais pas sans espoir.
En effet, une femme - et ce n'est certainement pas un hasard si Khadra a décidé de confier le rôle de commisaire à une femme - ne recule pas, ne régresse pas; elle fonce et cherche, sans se laisser intimider, l'assassin d'une jeune-fille. L'enquête la fait remonter jusqu'au plus haut, jusqu'à Hamerlaine.
Les témoins sont éliminés les uns après les autres et malgré sa détermination, Nora elle aussi sera victime des bassesses que ce pouvoir n'hésite pas à mettre en oeuvre pour préserver ses privilèges.
Alors, les singes ne deviendront-ils jamais des hommes ? Si ! Le trop plein, la rage, le besoin de prendre sa revanche sur une vie qui perd son sens, et par-dessus tout celui de retrouver sa dignité, finira pas triompher par le plus insignifiant des acteurs, par le plus faible, par le plus impuissant.
"Enserré dans un costume presque neuf, il sort sur le palier, descend la rue éclatante de soleil, hume à pleins poumons l'air du dehors et, purgé de ses vieux démons, il se laisse emporter par la foule, certain d'être enfin devenu un homme, et digne de marcher parmi ce magnifique peuple qui est le sien."
Khadra est décidément un auteur à suivre. Le regard qu'il porte sur la marche du monde et sur l'Algérie en particulier, est empreint de critique sévère, de dénonciation - avec un certain courage il faut bien l'admettre - mais n'est jamais désespéré, même si le retour à la dignité nécessite la violence.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire