Démarche intéressante que celle d'Anne Cuneo pour ce récit : ayant retrouvé en 2005, une copie (stencil) de son premier essai d'écriture qui datait de 1965, elle décide de reprendre ce texte, de le débarrasser du superflu et des "italianismes" comme elle les appelle, pour n'en garder que l'essentiel. Un texte qu'elle avait oublié et qui n'avait pas su retenir l'attention des éditeurs.
En fait, cet ouvrage est l'objet de deux récits : celui qui fait la trame de son roman et celui de sa reprise en main, près de 40 ans plus tard.
Le roman proprement dit met en scène une jeune italienne de 14 ans qui voit ses parents être fusillés par l'occupant allemand et se retrouve, une ou deux heures plus tard, abandonnée dans un fossé après avoir été violée par les hommes du peloton d'exécution.
Ce traumatisme va peser sur les relations qu'elle nouera ou ne pourra pas nouer avec les autres, jusqu'à ce qu'elle retrouve, des années plus tard, l'officier allemand, déserteur, qu'elle avait soigné durant les dernières années de la guerre.
Cette rencontre est le prétexte pour Anne Cuneo d'affirmer ses idées pacifistes voire internationalistes, ses luttes pour la libération de la femme, et ceci bien avant 1968 !
"Ah oui, vraiment, quel héros ! Il s'est sacrifié. Une jeune fille à la fois jolie, bien faite, cultivée, pleine d'élan et de spontanéité... Il a sûrement dû se forcer. Mais à quelle époque vivons-nous ?"
Elle s'était levée, avait fait le tour de son bureau, avait pris le menton d'Elena qui s'obstinait à fixer le sol et l'avait forcée à la regarder.
"Est-ce que tu as sérieusement pensé pendant toutes ces années que tu as passées ici, chez moi, que tu étais une fille "ruinée", comme ils disent en Sicile ?"
"Les garçons prétendent toujours que..."
"Evidemment, tu étais complètement finie, et tous ces jeunes gens qui assiègent la maison depuis des années pour que tu sortes avec eux n'insistaient que par pitié."
"Tu sais bien ce qui se serait passé si je leur avais raconté quoi que ce soit."
"Tu as essayé ?"
"Non, évidemment pas."
"Je vais te dire, Mademoiselle la petite-bourgeoise bigote comme pas deux. Tu n'es qu'une ancienne combattante de quatre sous. Comme ton mec. Vous formez une belle paire, tiens !"
Si vous n'avez rien lu d'Anne Cuneo, ne commencez pas par celui-ci : malgré le travail qu'elle a effectué sur son premier texte, il y reste, à mon avis, quelque chose d'inachevé, si je le compare à d'autres de ses romans (Station Victoria, le Maître de Garamond, etc.) En revanche, si vous connaissez déjà cet auteur, vous y retrouverez les prémisses de son style si personnel, et vous apprécierez le récit de sa démarche littéraire.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire