dimanche 27 février 2011

Roger Cuneo : AU BAL DE LA VIE, Favre, 2010

Parce qu'il a retrouvé un mot de sa mère affirmant que "si ma vie était à refaire, je la referais pareille", Roger Cuneo s'est fâché et a finalement trouvé le courage, de s'opposer, pour la première fois, à celle qui, dévorée par sa passion du jeu, l'avait confié à un orphelinat de la ville de Lausanne. Après avoir écrit "Maman, je t'attendais", Roger Cuneo, poursuit le récit de son enfance et nous fait découvrir un adolescent laissé à lui-même, un adolescent qui doit tout découvrir de la vie, qui doit d'abord, surmonter le manque affectif pour pouvoir se construire.

Et ce bal de la vie, même s'il n'a rien d'un musette, est entraînant sous la plume de cet incorrigible positiviste. Même si ce qu'il raconte touche la misère profonde, la faim, la solitude, le froid, l'auteur nous fait passer, un pas après l'autre, 1,2,3... 1,2,3... au travers de la découverte de l'amitié, de la fraternité, de la générosité, de l'amour.

À 16 ans, Roger, qui est inscrit à l'École de Commerce, doit subvenir seul à ses besoins et travaille chaque fin d'après-midi comme coursier dans un magasin de chaussures. Il évite de justesse de tomber dans la délinquance, mais néglige ses études et n'est pas très assidu. C'est grâce à l'amitié de Maurice qu'il va peu à peu découvrir le monde au travers des livres que ce dernier lui prête.


"Maurice a commandé une bière et, pour la première fois de ma vie, j'en ai pris une à mon tour. Je n'ai pas voulu montrer que je n'en appréciais pas le goût, mais mon camarade n'a pas été dupe.
- Tu viens d'où, toi ? Tu n'es pas comme nous, à voir la façon dont tu réagis à nos trucs.
Je ne voulais pas raconter mon histoire, j'avais bien trop peur de nouvelles moqueries de complications. Je lui ai dit avoir passé l'essentiel e ma vie en Italie dans des pensionnats et n'être pas encore habitué aux manières d'ici. Il a changé de sujet.
- Tu connais Les Trois Mousquetaires ?
- Les trois quoi ?
Par ma réponse hâtive, je me suis trahi.
- Tu n'as pas lu Alexandre Dumas ?  
J'ai dû avouer mon ignorance.
- Tu sais, là où j'ai grandi, on n'avait pas de livre en français. 
Il a hésité à m'interroger encore et il a attendu quelques instants d'autres explications; vu mon silence il a repris d'un air jovial. 
- Eh bien, tu as de la chance. Tu as devant toi plein d'histoires à découvrir. Pas besoin de prendre le train, tu feras tes voyages dans ta tête. Demain je t'apporte Les Trois Mousquetaires; si ça te plaît, je te prêterai d'autres bouquins, je n'en manque pas. Moi, les livres et le cinéma constituent mes plaisirs. Tu vois quels films toi ?
(...)
Je restais vague, tant que je n'aurais pas une chambre à moi, une adresse fixe, je savais ma situation précaire et je préférais éviter d'attirer l'attention sur mes conditions de vie. J'avais largement soupé des coups, des privations, des punitions assénées "pour ton bien". 
(...) 
Avant ces échanges avec mon ami, pour moi il y avait des bons et des méchants, le juste et le faux, le bien le mal, Dieu et le Diable. Par mes lectures répétées et à travers les analyses de Maurice, je décelais la complexité des comportements des hommes, de leurs motivations.
Grâce à mon ami, j'ai appris à lire entre les lignes à être critique dans mes acquisitions; j'ai aimé un livre non seulement pour son contenu, mais aussi pour son écriture".

Il lui reste à se découvrir, à prendre confiance en lui-même, à se considérer comme digne d'amour, même si celle, dont il était en droit d'attendre cela, continue de le décevoir, sans qu'il n'ose pourtant la critiquer ouvertement.
Comme vous l'avez compris, j'ai aimé ce livre, ce d'autant plus que j'en connais l'auteur, que je l'ai entendu interpréter ses chansons au "Lapin Vert" de Lausanne, et qu'ayant, moi aussi suivi les cours de l'École de Commerce, cela m'a rappelé mes propres souvenirs d'adolescente. Mais je suis persuadée que ce n'est pas un condition nécessaire pour apprécier ce livre. Le style a la simplicité de l'honnêteté de celui qui se penche sur son adolescence, sans chercher, ni à l'embellir, ni à la noircir, ni surtout à se donner le beau rôle.
Ce livre est un hommage à la solidarité, pas la grandiloquente des oeuvres de bienfaisance, mais la quotidienne, celle qui s'exprime dans la simplicité de la générosité et de l'ouverture aux autres.
Si cela vous intéresse, vous pouvez écouter une interview que Roger Cuneo a donnée, à l'occasion de la sortie de ce roman, dans l'émission "Devine qui vient dîner" de la Radio Suisse romande en cliquant ici.

1 commentaire:

  1. Intéressant ! J'ai lu la version d'Anne Cuneo, je lirai sa version à lui ...

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