mercredi 15 mai 2013

Edgar Hilsenrath : LE NAZI ET LE BARBIER, Attila, 2010


Un livre étonnant et rare, vu son propos et son style. Ce n'est pas souvent, en effet, que le thème de la Shoah dans un premier temps et de la création de l'Etat d'Israël dans sa deuxième partie, est traité sur le mode burlesque et de manière quasi détachée.

D'ailleurs, écrit et publié aux USA en 1972, il n'a été publié en Allemagne, pourtant patrie d'Egar Hilsenrath, qu'en 1977.

Il faut dire que le propos a de quoi étonner. S'il s'agit d'une biographie linéaire et chronologique, l'histoire n'est pas banale. C'est celle du jeune Max Schulz "aryen pure souche" dont le meilleur ami, Itzig Finkelstein,  est lui aussi Allemand mais juif. Leur amitié a beau être très forte, lorsque Hitler arrive au pouvoir, Max s'enrole dans les SA, puis les SS. Il accomplit son travail de génocidaire sans sourciller, allant même jusqu'à exterminer son propre ami et ses parents.

"Sauf peut-être un événement marquant. Le seul que je n'aie pas oublié : nous conduisions une poignée de Juifs dans un cimetière pour les fusiller. Mais erreur de cimetière. Il y avait des croix sur les tombes. Les Juifs se tenaient debout devant les croix, tremblants comme des feuilles, incapables de pleurer tellement ils avaient la trouille. Et là, sur l'une des croix, la plus simple et la plus petite, était accroché Jésus Christ. Qui chialait. Et qui dit à mon lieutenant : "Vous m'avez mal compris. Je les ai maudits, d'accord. Mais je voulais juste leur faire peur ! Pour qu'ils se convertissent !" Et le Seigneur Jésus Christ a continué de chialer sans plus rien dire.
Mon lieutenant s'est nis en pétard et a envoyé quelques balles dans le bide du Christ en pleurs. Et le Christ est tombé de sa croix, mais il n'était pas mort.
Mon lieutenant s'est alors tourné vers moi et il a dit : "Max Schulz ! Veuillez fermer la gueule à ce faux prophète une fois pour toutes. Vous faites ça mieux que moi."
Et c'est ce que j'ai fait."

A la fin de la guerre, Max ne trouve pas meilleur moyen d'échapper à la justice que de prendre l'identité de son ami Itzig, de remplacer son tatouage SS par un numéro de prisonnier au camp d'Auschwitz et pour parer à toute éventualité, de se faire circoncire. 

Il rejoint la Palestine en 1947, participe à la vie d'un Kibboutz avant de s'installer dans une petite ville en développement comme coiffeur, métier qu'il avait appris auprès du père d'Itzig.  Il se prend tellement au jeu qu'il devient l'un des héros de la lutte contre les Anglais et l'un des fers de lance du nouvel Etat. Il intègre totalement l'idéologie sioniste et c'est à peine si l'existence des Palestiniens est évoquée. Je ne vous en dis pas plus et vous laisse le soin de découvrir la fin de son histoire.

Hilsenrath, Allemand, Juif, ayant subi les pogroms en Roumanie, ayant rejoint la Palestine lui aussi, mais n'y étant pas resté, prend quant à lui ses distances  vis à vis du nouvel Etat sioniste et y dénonce déjà  les inégalités :

(Dans le salon de coiffure, les fauteuils sont numérotés)
"- Oui, Monsieur Finkelstein. Voyez : le fauteuil NUMERO UN, près de la fenêtre, c'est le meilleur fauteuil du salon. La place à la fenêtre, vous comprenez, est réservée aux Juifs allemands.
- Tiens ! Et le fauteuil NUMERO DEUX ?
- Pour les Juifs d'Europe de l'Ouest.
- Et le TROIS ?
- Pour l'élite des Juifs de l'Est.
- Qui sont, Monsieur Spiegel ?
- Les Russes et les Lituaniens.
- Et le QUATRE ?
- Pour tous les autres Juifs d'Europe de l'Est. Sauf les Roumains
- Et où vont les Juifs roumains ?
- Sur le fauteuil NUMERO CINQ, le dernier des Juifs de l'Est."
(...)
- Yitzhak Spiegel m'expliqua ensuite que le NUMERO SIX était réservé à l'élite des Juifs orientaux, les Yéménites. Puis venaient les autres. Le dernier fauteuil destiné aux Juifs orientaux était pour les Marocains.
Yitzhak Spiegel haussa les épaules, navré, puis m'expliqua la suite de l'enfilade qui continuait jusqu'aux vestiaires.
Je demandais encore : "Et qu'en est-il des deux fauteuils sans numéro près de la fenêtre ?
- L'un est réservé aux Sabras, dit Yitzhak Spiegel. Pour votre information, ce sont les Juifs nés dans ce pays, Monsieur Finkelstein. Nous ne savons pas où les classer.
- Et l'autre, Monsieur Spiegel ?
- Destiné aux non-Juifs. Aux nouveaux citoyens qui ne sont pas d'origine juive et aux étrangers. Nous les plaçons près de la fenêtre. Par courtoisie."

J'ai aimé ce livre qui se lit d'une traite et dont l'absurde n'a d'égal que la période historique dont il traite.
Un auteur dont je vais me procurer les autres titres.

2 commentaires:

  1. Incroyable, ce que tu écris sur cet ouvrage et surtout sur son héros !
    Nous naviguons dans la même période, toi et moi, puisque, en ce moment je lis le 5ème tome de Philip Kerr, "Vert-de-gris", un héros allemand non fasciste qui survit à cette époque troublée.
    Passionnant, je te conseille cette série.

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