mercredi 8 avril 2020

Kostas Moursélas : LES ENFANTS DU PIRÉE, Cambourakis, 2012


Le narrateur, Manolopoulos, ne sait pas très bien comment commencer à dresser le portrait de Louïs, son ami de toujours, qui n'est "pas vraiment petit, pas vraiment laid, pas vraiment beau, pas vraiment paresseux, pas vraiment illéttré, pas vraiment athée". Va-t-il commencer par son mariage ? Ou bien pas comment il a été coincé et forcé à se marier ? Faut-il parler de Fatmé, celle qu'il a sauvé de la prostitution tout en essayant de la "refourguer" à son copain ? Bref, Louïs et indéfinissable, si ce n'est pas l'adjectif "libre". 

Dans le Pirée d'après la guerre civile, alors que la chasse aux communistes bat encore son plein, une bande d'amis, découvre l'amour, le sexe, la politique. La première partie se contente de nous narrer les nombreuses aventures des uns et des autres, mais dans lesquelles, un personnage sort toujours du lot, le fameux Louïs.

"Un caporal est venu, suivi d'un troufion, et ils se sont plantés devant nous.
- Eh ! mec, ramène-toi, le commandant te demande. Suis-nous, a-t-il dit à Louïs. Et lui, en aristocrate de naissance, il a siroté les dernières gouttes de son thé, il a ramassé les cigarettes et, le briquet dans le creux de la main, il s'est levé.
- Allez, magne-toi ! T'es pas invité à un cocktail !
Le caporal lu a donné une bourrade. Le paquet et le briquet sont tombés par terre. Il a fait mine de se pencher pour les ramasser.
- Laisse-les ! T'en auras pas besoin, lui a dit le soldat en posant son godillot dessus.
Et il les a écrasés en rigolant.
J'allais me lever pour protester. Le caporal m'a fait rasseoir.
- Toi, tu la fermes !
- Ce n'est pas la peine, Konstandis, a ajouté Louïs. Ce sont des potes. On va s'arranger en route.
Et il m'a fait un clin d'oeil.
J'étais sûr qu'avant d'arriver au quartier général, il les aurait si bien cuisinés que tous deux se rangeraient de son côté.
Louïs, on ne peut ni le haïr, ni lui en vouloir Il ne fait pas partie de ces hommes que l'on peut ignorer ou oublier. (...)
Juste avant qu'ils ne disparaissent, j'ai eu le temps de voir le caporal sortir son paquet de cigarettes pour lui en offrir une et l'autre sortir son briquet pour la lui allumer."

Mais le temps passe, les amis mûrissent, apprennent un métier ou font des études, ils se marient, pas toujours avec celle qu'ils aiment, souvent en fonction des intérêts économiques des familles. Tous ? Non, bien sûr, pas Louïs qui passe d'un petit boulot à un autre, d'une femme à une autre, mais qui reste toujours fidèle à ses principes et à son ami Manolopoulos, qu'il exhorte de se sortir du conformisme ambiant. 

Un roman touffu, dont j'ai perdu quelques fois le fil, mais qui a su me retenir jusqu'au bout grâce à des passages magnifiques dus à l'acuité du regard que Moursélas porte sur la société petite bourgeoise athénienne, avec ses rêves et ses angoisses, et de laquelle au moins une femme semble s'être échappée grâce à l'exemple de Louïs. Quant au Manolopoulos de narrateur, même si la fin de l'histoire n'est pas celle qu'il a toujours espérée en secret, il se pourrait bien que le fait d'écrire enfin l'histoire de la bande sera à même de lui faire accéder à cette liberté que son ami lui a toujours enjoint de prendre à pleins bras. 

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