jeudi 23 décembre 2010

Milena Agus : BATTEMENT D'AILES, Ed, Liana Lévi, 2008

Milena Agus, romancière italienne, née en 1959, et vivant à Cagliari, nous entraîne en Sardaigne, dans un coin perdu et sauvage, où vivent deux familles, celle d'une jeune fille de 14 ans, celle de ses voisins mais surtout une certaine "Madame" qui refuse de vendre sa terre à des promoteurs immobiliers. 
La petite tient une sorte de journal où l'on découvre la fascination qu'elle porte à cette quinquagénaire fantasque, toujours à la recherche de l'amour mais qui en a peur, le jour où elle le trouve enfin. 
"Madame, qui désormais est Agnese, dit que son bonheur avec Giovanni est si grand qu'il est à peine soutenable et qu'être heureux n'est pas facile comme le pensent les pauvres gens qui se débattent dans mille difficultés. Comme le pensait avant elle-même. Elle dit que la seule façon pour que ce bonheur ne finisse pas est de finir avant lui. Mourir pour ne pas mourir." 
C'est un petit roman, léger, agréable à lire, où le portrait des protagonistes, tous plus attachants les uns que les autres, est habilement tiré par petites touches, et où l'imaginaire de la jeune fille ne fait que renforcer la magie des chiffres pratiquée par "Madame", car "sans magie, la vie a un goût d'épouvante".

lundi 13 décembre 2010

Jacques Lacarrière : AU COEUR DES MYTHOLOGIES, Folio, 1984

Dans son avant-propos, J. Lacarrière écrit : 

"...outre sa claire intention de présenter l'histoire mythique de l'homme racontée par lui-même, il (l'ouvrage) est né aussi et avant tout du désir, du plaisir de proposer une anthologie de mes mythes préférés". 

Plaisir, le mot est lâché. C'est en effet, une jubilation que de suivre Lacarrière dans sa présentation des réponses que les hommes ont données aux questions qu'ils se posent quant à leur origine ou à leur devenir. 

Nul besoin d'être un(e) spécialiste des civilisations indo-européennes pour découvrir les mythes de Sumer, de l'Inde, de l'Iran, de l'Egypte, de la Grèce et de Rome bien sûr, mais aussi de la Scandinavie, et des peuples judéo-chrétiens au travers de la Bible, sans oublier le Coran. 

Le livre est divisé en trois grandes étapes : La naissance du monde, L'homme et l'univers, La fin du monde, chacune de celles-ci contenant plusieurs chapitres dont les seuls titres sont un appel à plonger au coeur de cette "fabuleuse et mystérieuse histoire de l'homme révélée et narrée par lui-même"

Non seulement J. Lacarrière analyse les différences et les similitudes existantes entre les mythes des différentes civilisations, mais il étaie ses propos en citant les textes fondateurs de certains mythes et là on atteint souvent la poésie, non seulement du texte lui-même, mais de l'humain. 

 
"Seul, un récit indien de la Maitrayani Samhita – qui fait partie elle-même du grand recueil de Brâhmana – présente une vision moins sévère de la nuit. Née en un temps où le phénomène avait, depuis longtemps, trouvé son explication rationnelle, en un pays où la fraîcheur nocturne reposait l'homme de la chaleur torride des journées, cette version fait de la nuit une création bienfaisante des dieux destinée à verser l'oubli sur les chagrins et les soucis : 

"Yama était mort. Les dieux tâchèrent de persuader Yami, sa sœur jumelle, de l'oublier. Toutes les fois qu'ils le lui demandaient, elle disait : "C'est aujourd'hui seulement qu'il est mort." Alors les dieux se dirent : "De cette manière, elle ne pourra jamais l'oublier. Il faut créer la Nuit." Car, à cette époque, il n'y avait que le jour et pas de nuit. Les dieux créèrent alors la Nuit. Puis se leva un lendemain. Après quoi, elle oublia Yama".
                                                                                    Anthologie sanskrite, trad. L. Renou

mercredi 27 octobre 2010

Nina Berberova : LE MAL NOIR, Actes Sud, 1989


C'est un plaisir renouvelé à chaque lecture des romans de Nina Berberova. Mais dans ce petit récit d'à peine une centaine de pages, elle sait magistralement, dans une sobriété de style incomparable, non seulement poser un décor, raconter une histoire, mais surtout nous faire pénétrer, une fois encore, dans l'âme d'un exilé russe. 

Nous découvrons un homme cherchant à réunir la somme nécessaire à la poursuite de son exil de Paris à Chicago. Il essaye de revendre une paire de boucle d'oreilles en diamant, mais malheureusement, l'une des pierres a "le mal noir" et elle ne vaut donc rien. 

"Je retournai au mont-de-piété. Ce lieu sordide grouillait de monde. On me donna un numéro – le soixante-quatre – et je m'assis entre une femme qui tenait sur ses genoux une vieille couverture, et qui apparemment ne savait plus où aller, et un homme plus très jeune, vêtu correctement, qui ressemblait à Nicolas II. Il avait apporté un éventail en écaille. Je pensai alors qu'il n'y avait pas de pire endroit au monde." 

Il parviendra à rejoindre Chicago, après un passage à New York. 

jeudi 21 octobre 2010

Katherine Pancol : LA VALSE LENTE DES TORTUES, Albin Michel, 2008


Ce roman m'a été donné par l'une de mes hôtes qui l'avait acheté juste avant de prendre l'avion, mais qui s'est rendu compte qu'en fait, elle l'avait déjà lu. C'est dire s'il l'avait marqué ! C'est donc avec peu d'enthousiasme que j'en ai entrepris la lecture; elle me l'avait bien dit : "Ca se lit... C'est la suite de "Les yeux jaunes des crocodiles", mais ce n'est pas nécessaire d'avoir lu le premier pour lire celui-ci". 

Et bien ce dont je suis sûre, c'est que je n'achèterai pas le premier, ni aucun autre livre de Katherine Pancol, tant je me suis ennuyée à subir, à longueur de chapitres, des phrases creuses et des sentences dignes du courrier du coeur de n'importe quel magazine. J'apprends dans sa biographie que K. Pancol a suivi des ateliers d'écritures, et bien ça se voit. Rien de personnel, rien de vrai, tout est construction artificielle, cliché. Les personnages sont caricaturaux, les situations, soit d'une banalité crasse, soit d'un grotesque énorme. L'intrigue elle-même est cul-cul : une femme tombe amoureuse du mari de sa soeur, "l'amour sera-t-il le plus fort ?". Mais comme il n'y en a rien à dire, il faut y ajouter un serial killer, un quartier bourgeois, un peu de lutte des classes – enfin c'est un bien grand mot pour parler des relations entre la concierge et les locataires de l'immeuble -, un petit-fils de la reine d'Angleterre, un nourrisson savant (réincarnation d'Einstein suggérée....). 

Je vous assure, je ne vous mens pas, le roman est bourré de phrases comme celles-ci : 

"La société actuelle pousse les gens à la violence comme seule affirmation de soi." 

lundi 27 septembre 2010

Martin Suter : LE CUISINIER, Ed. Bourgeois, 2010


Une amie Suisse, de passage à Nauplie, m'a offert le dernier livre de Martin Suter, auteur Suisse, lui aussi, que je découvre à cette occasion. C'est donc avec intérêt que je me suis lancée dans la lecture de ce septième roman. 

Un jeune réfugié tamoul travaille comme aide de cuisine dans un restaurant "nouvelle cuisine" de Suisse allemande et s'il se contente d'officier comme petite main, c'est que, rentré chez lui, il expérimente les recettes ayurvédiques transmises par sa tante, façon cuisine moléculaire. 

"L'essentiel, dans ce repas, c'étaient les entremets : une série d'aphrodisiaques ayurvédiques qui avaient fait leur preuve, mais accommodés avec autant d'audace que d'innovation. Au lieu de faire sécher au four et par portions toute la purée de petits haricots urad en gelée de lait surcé, il en mélangea la moitié avec de l'agar-agar. Il déposa les deux moitiés sur des planches de silicone et les découpa en rubans. Il fit sécher dans le four la moitié dépourvue d'agar-agar et la tordit, encore chaude, en forme de spirales. Il laissa refroidir l'autre moitié et glissa les feuilles élastiques dans les spirales devenues croustillantes." 

Malgré ses scrupules moraux, et pour venir en aide à sa famille restée au Sri Lanka, il accepte la proposition d'une ancienne collègue, de se mettre à leur compte et de préparer des repas aphrodisiaques pour la jet set. C'est ainsi qu'il va croiser des golden boys de la finance zurichoise, des marchands d'armes et des trafiquants en col blanc de tous bords. Il est très vite la proie des représentants des Tigres tamouls, qui le rackettent au nom de la solidarité et de la lutte pour l'indépendance. Les affaires marchent bien jusqu'au jour où il comprend que leur principal client est justement un des hommes qui fournit des armes au gouvernement du Sri Lanka. 

dimanche 19 septembre 2010

Claudie Gallay : DANS L'OR DU TEMPS, Ed. du Rouergue, Babel 2006


J'ai poursuivi ma découverte de Claudie Gallay par la lecture de "Dans l'or du temps", dont le titre fait référence à l'épitaphe qui figure sur la tombe d'André Breton : "Je cherche l'or du temps". André Breton, le pape (et le mot n'est pas trop fort) des Surréalistes, dont j'ai dévoré les livres entre 15 et 17 ans – mais que j'ai trouvé illisible et bien vieilli, lorsque j'ai repris "Nadja", il y a quelque temps. Le portrait que l'auteure en fait n'est d'ailleurs pas dépourvu d'une certaine distance critique, notamment en ce qui concerne le pillage des kachinas hopis, par les intellectuels et artistes français exilés en Amérique durant la deuxième guerre mondiale. 


Le roman semble avoir pour point de départ la fascination des surréalistes pour la philosophie hopie, pour qui, l'univers n'est pas seulement celui du visible, mais tout autant celui de l'imaginaire et de l'invisible. Mais comme il ne s'agit ni d'un manifeste, ni d'une étude ethnologique, Claudie Gallay bâtit un vrai roman, dans lequel cette rencontre inégale entre deux cultures, est dévoilée par petites touches. 

Un jeune homme, en vacances avec femmes et enfants, en Normandie, rencontre par hasard une voisine âgée. Cette dernière, fille de Victor Berthier, photographe du cercle des surréalistes en exil, a, en 1945, accompagné son père dans les villages hopis de l'Arizona.


"Des gosses les attendent. Ils veulent leur vendre des arcs de cérémonies, des bâtons de prière auxquels ils ont accroché des plumes. De dinde ou de moineau ? Des pahos à touristes. Breton n'en veut pas. 
Les enfants s'éloignent et puis ils reviennent. Avec d'autres bâtons. Ils disent que les plumes de ces pahos-là sont des plumes d'aigle sacré. Breton ne les croit pas. 
Elisa rit. Elle leur donne des bonbons. 

Berthier achète quand même un pahos pour pouvoir continuer à prendre des photos sans être trop inquiété. 
Breton quitte le groupe. Il a vu une jeune femme assise sur le devant de sa maison. Près d'elle, un bébé de quelques semaines attaché sur une planche-berceau. 
L'enfant. Presque ligoté. (…) 
Breton rejoint le groupe. Il est heureux. A l'intérieur de son sac, un très beau kachina qu'il vient d'acheter à cette jeune femme après quelques négociations. (…) 
Pour Breton une identification est possible. Un échange. L'impression soudain qu'il peut dialoguer avec l'invisible. Il le dit : 
Je veux m'approprier leur pouvoir." 

Au fil des jours, une relations ambiguë, souvent conflictuelle, se développe entre la vieille dame et cet homme, au point qu'il néglige de plus en plus sa vie familiale. C'est au moment où la rupture est consommée que sa voisine parvient à lui confier son secret le plus douloureux. 

"- N'allez pas croire. J'ai essayé de raconter cette histoire à d'autres. Je n'ai trouvé personne. Vous seul… 
Elle a poussé la porte. Nous étions dans la pièce au sapin. Près de la table. 
Elle a fait le tour de la table. Lentement. 
- C'était Noël… Notre premier Noël d'après-guerre. 
De sa main, elle frôlait le dossier des chaises. 
- Ma mère devait être ici, et là, c'était la place de Clémence… Elle a continué. Nommant tour à tour chacun des convives. Les convives de l'absence. - Ici, la place de mon père. 
Son regard errait sur cette table. Comme indifférent.
- Il neigeait ce jour-là. 
Elle a esquissé un geste. Et puis elle s'est reprise.
Elle a commencé à raconter. 
- S'il n'avait pas neigé… mais il neigeait et mon père était photographe. La neige sur Etretat. Il a dit qu'il faisait l'aller-retour. (…)" 

L'ambiance de ces rencontres et le style de Claudie Gallay m'ont fait penser à Marguerite Duras. La Normandie ? La relation Duras-Andréa ? Je ne saurais dire. Mais c'est avec beaucoup de plaisir que j'ai lu ce roman, même si, j'ai trouvé que le personnage du jeune homme, et surtout les passages concernant la déroute de sa vie familiale, sont un peu négligés. Peut-être est-ce délibéré de la part de l'auteure, puisqu'il n'est que le support qui permet à la vieille dame de se libérer de son fardeau.

vendredi 17 septembre 2010

Nick Hornby : HAUTE FIDELITE, Plon, 10/18, 1997


Un adolescent attardé (à 35 ans quand même !) qui passe son temps à se plaindre de ce que sa vie, et principalement sa vie amoureuse, lui a réservé, voilà un sujet qui, de prime abord, n'avait rien pour me plaire.

Et bien, Nick Hornby réussit le tour de force, sans nous rendre le personnage sympathique pour autant, de nous intéresser, tout du moins, à sa démarche de remise en question et à son apprentissage de la vie adulte – tout n'est donc pas toujours de la faute des autres…! 



Il faut dire que l'auteur y met les formes : de l'humour, beaucoup de folie et surtout une anthologie de la musique rock pop de ma jeunesse. Je me suis mise à rechercher sur le net quelques-uns des tubes cités, juste pour le plaisir de les réentendre, et plein d'autres, inconnus au bataillon, en tout cas de mon bataillon.

samedi 4 septembre 2010

Claudie Gallay : SEULE VENISE, Ed. du Rouergue, 2004



Je suis à nouveau tombée sous le charme de l'écriture de Claudie Gallay. Son style s'harmonise parfaitement à l'ambiance de cette Venise hivernale et pluvieuse, dans laquelle, suite à une rupture douloureuse, la narratrice vient se perdre dans le labyrinthe des ruelles et des canaux, pour mieux se retrouver. 

La sobriété des phrases, leur simplicité, nous entraîne, non pas dans la Venise puissante et glorieuse, mais dans celle du quotidien d'une petite pension minable et d'une librairie de quartier. 



C'est ainsi que la jeune femme va retrouver le goût des choses - le vin qu'elle apprend à déguster en compagnie d'un vieux prince russe tragiquement romantique, le chocolat qu'elle boit au Florian, les livres et surtout les peintures de Zoran Music que lui fait découvrir un libraire -, le goût du contact avec les autres - outre l'amour quasi filial qu'elle ressent pour le prince, elle se lie d'amitié avec Luigi, le propriétaire aux dix-huit chats de sa pension ainsi qu'avec un jeune couple également locataire -, et petit à petit , le goût du désir et de l'amour. 


 Zoran Music Façade à Venise, 1983,
© Paris-Musées. Photo : Karin Maucotel
"Je prends un livre. Au hasard. Je l'ouvre, une page par le milieu. 
Vous revenez avec un plateau, deux tasses, des sucres dans une coupe. 
Vous versez le café dans les tasses. 
Du doigt, vous me montrer le livre que je tiens contre moi. 
- Zoran Music, vous connaissez ? 
Je fais non avec la tête. 
Vous vous asseyez sur un carton, moi sur la chaise en face. 
- C'est un peintre. Il habite ici, à Venise, dans le Dorsouro. 
Je regarde le livre. Le titre. La barbarie ordinaire, Music à Dachau, Jean Clair. 
Vous allumez une cigarette. 
- Cet homme est allé au pus loin dans la peinture. Il est allé dans ce qu'il était même impossible de peindre. 
Vous me parlez de lui. Longtemps. En ouvrant le livre et en le refermant. Quand vous vous arrêtez, je souris. Peut-être que vous attendez que je dise quelque chose. 
Je n'ai rien à dire. Je vous écoute."  

Décidément une auteure qui m'enchante.

mercredi 1 septembre 2010

Carlos Ruiz Zafon : L'OMBRE DU VENT, Ed. Grasset, 2004


Un homme emmène son jeune fils, Daniel, au Cimetière des Livres Oubliés pour qu'il y choisisse un livre et qu'il le garde comme un ami. Désormais, Daniel n'aura de cesse d'en retrouver son auteur maudit et disparu. 

Une initiation à la littérature, une découverte de l'amour, une enquête à la recherche d'un auteur perdu, un hymne à l'amour paternel, à l'amour éternel et à l'amitié. Tous les ingrédients d'un vrai roman sont présents et qui plus est, agencés dans une construction magistrale, faite de parallèles entre la vie et les amours des deux héros, d'un entrelacs d'éléments permettant de maintenir le suspens, pour déboucher, avec un certain culot, je dois dire, sur la récapitulation et la narration chronologique des événements qui ont constitué la trame l'intrigue. 

Carlos Ruis Zafon,  nous donne d'ailleurs lui-même la définition de ce qui, pour lui, est un vrai roman : 

"A mesure que j'avançais, la structure du récit commença de me rappeler une de ces poupées russes qui contiennent, quand on les ouvre, d'innombrables répliques d'elles-mêmes, de plus en plus petites. Pas à pas, le récit se démultipliait en mille histoires, comme s'il était entré dans une galerie des glaces o?u son identité se scindait en des douzaines de reflets différents qui , pourtant, étaient toujours le même." 

J'ai dévoré ce livre, avec le même plaisir que j'avais eu à lire le "Comte de Monte-Cristo". J'ai été intéressée par le cadre et l'époque - la Barcelone de l'après guerre civile - j'ai aimé les personnages et j'ai été séduite par cet univers de bibliothèques, de librairies, et de maisons d'édition. 

"Quand une bibliothèque disparaît, quand un livre se perd dans l'oubli, nous qui connaissons cet endroit et en sommes les gardiens, nous faisons en sorte qu'il arrive ici. Dans ce lieu, les livres dont personne ne se souvient, qui se sont évanouis avec le temps, continuent de vivre en attendant de parvenir un jour entre les mains d'un nouveau lecteur, d'atteindre un nouvel esprit. Dans la boutique, nous vendons et achetons les livres, mais en réalité ils n'ont pas de maîtres. Chaque ouvrage que tu vois ici a été le meilleur ami de quelqu'un."

vendredi 20 août 2010

Jane Smiley : CHAGRINS, Rivages, 1998

Encore une auteure que je ne connaissais pas, mais ce n'est pas une grande découverte. Peut-être aurai-je dû commencer par "L'Exploitation", roman pour lequel elle a reçu le prix Pullitzer ? 

En l'occurrence, "Chagrins" est un recueil de nouvelles, dont la première, qui a donné son titre au livre, est la plus longue : Un homme sait que sa femme le trompe, mais le cache et boit son chagrin tout seul.... Et alors ???? C'est inintéressant, plat, pauvre.... on n'en a rien à faire ! Le seul truc qui m'a fait sourire, c'est que comme il s'agit d'un "gentil mari", mais surtout d'un "nouveau papa" exemplaire (il pouponne, s'active, est très responsable, etc. etc.) il lui arrive la même chose qu'aux femmes qui, parfois, oubliaient qu'elles étaient épouses et se réfugiaient dans leur rôle de mères, il est cocu ! 

Parmi les cinq nouvelles – très courtes celles-là – je retiendrais, peut-être, "Le plaisir de sa compagnie", qui raconte la désillusion d'une femme lorsqu'elle se rend compte que l'amitié qu'elle croit avoir noué avec un couple de voisins, n'était en fait, pour ces derniers, que le moyen de se supporter l'un l'autre juste avant leur séparation. 

Tout le reste est vide, sans style, sans force.

samedi 14 août 2010

Fernando Vallejo : ET NOUS IRONS TOUS EN ENFER, Ed. du Rocher, 2005



Un roman tempétueux comme la rivière de Medellín avant qu'elle ne soit maîtrisée et ne devienne un cloaque à l'image, selon Vallejo, de son pays, la Colombie. 

Une langue baroque, pour des propos souvent outranciers, choquants et sans appel. 

Vallejo se laisse entraîner dans le souvenir du dernier voyage qu'il (que le narrateur ?) fait à Medellín pour assister son frère Darío, mourant du sida. Un peu comme une rengaine, qui vous obsède, il passe et repasse sur certains moments, sur certains événements, sur certaines émotions : son arrivée à Médellin, le "non-accueil" de son frère le Grand Couillon, la chambre qu'il occupe dans la maison paternelle, les après-midi à soigner son autre frère, Darío, allongé dans un hamac au jardin. 

"Il (le Grand Couillon) ne m'adressait plus la parole depuis des années et des années, depuis les premières jonquilles. Dans ses tripes, le maître de cet asile avait incubé une haine fermentée contre moi, contre cet amour, son propre frère, celui qui vous parle, qui dit : je. Enfin, on n'y pouvait rien, jusqu'à la mort de Darío, nous étions condamnés à vivre sous le même toit, dans le même enfer. Le petit enfer que la Folle a amoureusement construit de ses mains, peu à peu, jour après jour, en une cinquantaine d'années. Un petit enfer de tradition à l'image des entreprises solides qui ne s'improvisent pas." 

"Les deux petits frères étaient donc réunis et s'entretenaient dans le hamac pendu entre le manguier et le prunier du jardin, sous un drap blanc qui les protégeait du soleil, avec la Mort à leur côté, contre laquelle il n'existe aucune protection." 



Deux femmes seulement dans cet univers : la mère, la Folle, "pondeuse" exécrée de 25 enfants et la mort, avec qui il entretient un dialogue quasi complice, la mort, presque comme une alliée. A travers la haine de la mère, ce sont toutes les institutions (église et particulièrement le pape, le corps médical, les politiciens) qui se trouvent insultées et honnies. Un seul autre membre de la famille adoucit un peu cet enfer au quotidien, le père, mort une année auparavant. 

Le décor et les personnages sont posés, commence la valse des  :
"Tu t'en souviens, Darío ? 
Et comment qu'il s'en souvenait !" 

S'en suivent de grands moments de tendresse et d'amour fraternel inconditionnel. 

"Darío, frangin, le suppliais-je, il faut choisir ce qu'on veut être, dans la vie : fumeur d'herbe, de crack, ivrogne, pédé ou autre chose, mais pas tout à la fois. On ne peut pas. Le corps ne le tolère pas, ni la société indulgente. Alors, décide-toi une bonne fois et tiens-t'en là." 

"Et comment, qu'il s'en souvenait ! Voilà pourquoi je peux dire que si le disparu c'était moi et non pas lui, on n'aurait rien perdu, parce que la moitié de mes souvenirs, les meilleurs, les plus beaux, étaient à lui. " 

"Fume, Darío, fume encore, fume davantage. Rassasie-toi de fumée, et si tu veux délirer, délire, je te suivrai où que tu ailles, aussi loin que je le pourrai, jusqu'au fonds de l'abîme où s'ouvrent les enfers." 

Tout est prétexte à révolte, non pas contre la mort, mais contre la vie et encore plus contre les vivants. Ne prétend-il pas être lui-même déjà mort au moment où il écrit. 

"Cette nuit a été la dernière que j'ai passée là : le lendemain matin, j'ai quitté pour toujours cette maison, et Medellín et Antioquia, et la Colombie et ma vie. Mais la vie, non; la vie, je lui ai dit adieu seulement quelques jours plus tard, quand Carlos m'a appelé à Mexico pour m'annoncer qu'ils venaient de précipiter la mort de Darío, parce qu'il étouffait, n'en pouvait plus et les priait de le tuer. C'est à cet instant-là, le combiné à la main, que je suis mort. La Colombie est un pays chanceux. Elle a un écrivain unique. Un mort qui écrit." 

"La Mort ? Quelle Mort, imbécile d'ange ! La Mort, pour te dire la vérité, m'a toujours obéi de mon vivant. Quant à mon enterrement dans un si illustre cimetière où se sont décomposés tant de mes bien-aimés compatriotes, il ne faut pas y compter, on m'a incinéré à Mexico, ce qui a coûté une fortune en pots-de-vin pour arracher le permis aux services municipaux." 

C'est un roman dérangeant, comme je les aime d'habitude, mais celui-ci laisse comme un sale goût en bouche, comme un dégoût, tant les outrances sont fortes. Il vous oblige à vous arrêter dans la lecture, à le reprendre à peine terminé, à y replonger, pour le "digérer" mais j'en garde, finalement, l'émotion de la force du lien qui lie ces deux frères. 

C'est le premier roman que je lis de cet auteur, mais à la première occasion, je sais que je ne résisterai pas à en lire les autres.

jeudi 5 août 2010

Katarina Mazetti : LES LARMES DE TARZAN, Gaïa Editions, 2007


Voilà une auteure dont je n'avais jamais entendu parlé et un livre que j'ai donc emporté à la plage, en toute innocence, avec un sourire en coin au vu de la quatrième page de couverture, qui m'annonçait : "Elle, c'est Mariana, mais leur rencontre fut assez fracassante pour qu'il la surnomme Tarzan. Lui, il s'appelle Janne, pour de vrai." 

Et bien, heureusement que c'est à la plage, entre deux baignades que je l'ai lu. Il ne mérite pas plus d'attention, que celle que ce lieu nous permet, lorsqu'on n'est pas pris dans l'histoire au point d'en oublier l'entourage. 

Pour faire court, rien dans ce roman ne dépasse le "gag" d'entrée à savoir que c'est la femme qui s'appelle Tarzan et l'homme qui s'appelle Janne. (Je suppose qu'en suédois, cela doit tout de même se prononcer Yanne, non ?) Une histoire qui se veut le contraire de Pretty Woman, car on a affaire à une femme pauvre mais qui lutte pour son indépendance, et refuse de se "vendre" à un homme riche, soi-disant tombeur de ces dames, qui n'est autre qu'un "midinet" sentimental et maladroit. 

mardi 3 août 2010

Ismaïl Kadaré : LE GRAND HIVER, Ed. Fayard, 1978

Le grand hiver, c'est l'hiver 1960-1961, durant lequel l'Albanie s'opposa au diktat hégémonique de l'Union Soviétique. Ismaïl Kadaré, s'est amplement basé sur les mémoires du chef du Parti communiste albanais, Enver Hoxha pour nous relater la dégradation, puis la rupture des relations entre son pays et le "grand frère" soviétique. 

Le roman s'ouvre sur une tempête qui ne fait que conforter la rumeur d'un refus de l'URSS de fournir à la petite Albanie du blé, alors que cette dernière vient de subir une série de catastrophes naturelles. 



Vue de Tirana dans les années 1960
 Besnik, journaliste à Tirana, va être intimement lié à la rupture puisqu'il fait partie, en tant qu'interprète, de la délégation albanaise à la Conférence des 81 partis communistes qui s'est tenue à Moscou à fin 1960. On le soupçonnera même d'avoir mal traduit certaines interventions, ce qui pourrait expliquer l'entêtement d'Enver Hoxha à refuser de se soumettre aux injonctions de Khrouchtchev et son audace à prononcer un discours de dénonciation de la soumission exigée au non de l'unité. 


De retour en Albanie, tenu au secret, perturbé par la gravité des menaces de blocus qui pèsent sur son pays, Besnik va repousser la date de son mariage car le temps n'est plus au destin personnel et parce que la fidélité au parti ne saurait souffrir la moindre "insensibilité à l'égard des questions d'intérêt général"

Au travers des nombreux autres personnages qui peuplent ce roman (cadres du parti, jeunes oisifs, paysans visionnaires, balayeur de rue et même "bourgeois" déchus et reprenant espoir), Kadaré nous dresse, comme toujours, un tableau terriblement noir de la dictature, fut-elle du prolétariat. C'est avec un talent de conteur et un regard ne manquant pas d'humour qu'il mêle ces personnages à la page d'Histoire qui est en train de s'écrire. 

C'est un roman passionnant, qui nous rappelle des faits longtemps passés sous silence ou minimisés du fait de la grande scission qui intervint à la même époque entre l'URSS et la Chine. 

Il existe deux versions de ce roman : achevé en 1971 "L'hiver de la grande solitude" parut en 1973, au moment où le pouvoir menait une campagne contre les intellectuels. Le roman fit scandale et en 1975, Kadaré fut interdit de publication. Il écrivit une deuxième version augmentée de certains passages qui sous-entendent que le peuple faisait bloc avec ses dirigeants, sous le titre du "Grand Hiver", version qui parut finalement en 1978. 
Détail de la mosaïque représentant l'histoire de l'Albanie, sur la façade du Musée national d'histoire, à Tirana.

Je retranscris ici ces deux passages qui m'ont particulièrement plu et intéressée, mais qui ne sont pas forcément représentatifs du roman lui-même : 

"Ce matin-là, le rédacteur en chef ne sortit pas prendre son café comme d'habitude. Assis derrière sa table, dans son long bureau, il examinait attentivement une liasse de photos, sans arriver à décider celles qu'il publierait dans le numéro du lendemain. Elles avaient toutes été prises à la rencontre nationale des jeunes ouvrières, à laquelle avait participé Enver Hoxha. Mais ces épreuves ne lui plaisaient pas. Il ne parvenait pas à dire si c'était la faute des photographes, ou des appareils, mais de toute façon les photos ne lui semblaient pas bonnes. Il croyait savoir que les services photographiques étaient pourvus d'appareils modernes acquis en Allemagne de l'Ouest, mais cela n'était pas une raison. L'homme avant tout. Cette formule impitoyablement rebattue dans les réunions et conférences, lui revint insidieusement à l'esprit. Peut-être faudrait-il envisager le renouvellement des cadres. Et pourtant c'étaient ces mêmes photographes qui, des années durant, avaient fait des milliers d'excellents clichés. (...) 
Le vieux photographe de l'Agence télégraphique (...) ne s'était pas trompé. Les sels chimiques, cette fois plus clairement et plus fermement, avaient tracé sur le visage connu quelque chose de nouveau, de bizarre, qu'il était difficile de définir d'un mot. (...) Xan tira douze photos différentes de la solution et sur chacune d'entre elles observa la même chose. Et lorsque la cuve de porcelaine fut vie, brusquement, avec une étrange clarté, dans tout son être s'installa clairement cette pensée : Enver Hoxha avait un gros souci. (...) 
Non, il ne se confierait à personne. Tout au plus, ce soir, avant de s'endormir, dirait-il bien bas à sa femme : Ecoute, Sanié, Enver (il disait Enver tout court, sans "camarade", peut-être parce qu'ils étaient du même âge) – Enver a un grand souci. Alors, sûrement, elle se tournerait vers lui et lui répondrait avec effroi : Mon Dieu, pourvu qu'il n'y ait pas la guerre !" 
**** 

"Le correspondant traversa lentement le grand salon. L'homme ivre, qui continuait de chanter "Moscou, Tirana, Los Angeles", faillit le heurter. Leurs regards se rencontrèrent. L'autre sourit. 
"Jolie chanson, dit le journaliste, vous parlez français ? 
-Ah ! francé.... Mme Pompadour... oui, oui". 
Il s'imagine parler français, se dit le correspondant, et il tenta de lui parler en russe. Ils réussirent à se comprendre tant bien que mal. 
"Alors, où en est l'unité ? demanda le correspondant, d'un ton désinvolte. Totale, indestructible, comme toujours ?" 
Hochant la tête, l'homme ivre fit la moue avec une sorte de mépris. 
"Comme toujours, dit-il, unité totale, jusqu'à l'ennui".

dimanche 4 juillet 2010

Claudie Gallay : LES DEFERLENTES, Ed. de Rouergue, 2008



Reçu la semaine dernière, j'ai dévoré ce livre, et je remercie mon amie Anne de m'avoir fait découvrir cet auteur, dont je n'avais pas entendu parler, dans mes lointaines contrées grecques. 

C'est un roman écrit un peu à la manière d'un journal intime, chaque jour amenant, en deux ou trois pages, non seulement le déroulement de l'intrigue, mais par petites touches, la connaissance des hommes et des femmes habitant ce coin du bout du monde, le percement de leurs secrets, de leurs drames, dans une atmosphère soumise aux caprices de la mer et de ses déchaînements. 


"Ça a duré des heures, un déluge effroyable. A ne plus savoir où était la terre et où était l'eau. La Griffue tanguait. Je ne savais plus si c'était la pluie qui venait cingler les vitres ou si c'étaient les vagues qui montaient jusque-là. Ça me donnait la nausée. Je restais, les cils contre les carreaux, mon haleine brûlante. Je m'accrochais aux murs. Sous la violence, les vagues noires s'emmêlaient comme des corps. C'étaient des murs d'eau qui étaient charriés, poussés en avant, je les voyais arriver, la peur au ventre, des murs qui s'écrasaient contre les rochers et venaient s'effondrer sous mes fenêtres. Ces vagues, les déferlantes. Je les ai aimées. Elles m'ont fait peur." 

La narratrice – mais ce terme ne convient pas, elle ne s'adresse pas au lecteur mais à l'homme qu'elle a aimé et qui est mort peu avant son arrivée – la narratrice, tout de même, est ornithologue et procède au recensement des oiseaux sur les falaises du Cotentin. Elle est donc observatrice et s'attache à percer le mystère de la haine qui lie les membres d'une des familles du village, mystère ravivé par l'arrivée de Lambert, dont toute la famille avait péri, une quarantaine d'années plus tôt dans un naufrage. 

"J'ai remis du bois dans le feu. Je suis restée un moment, à genoux, à fixer les flammes. 
- Théo a compris que quelque chose s'était passé quand il a entendu les sirènes. Il a vu les lumières sur le quai, les portes grandes ouvertes et le canot qui sortait. Quand le canot est arrivé sur le lieu du naufrage, il n'y avait plus personne dans le voilier. Ils ont fouillé la mer. C'était la nuit. Ils avaient des lampes mais les vagues étaient fortes. 
- Ils n'ont pas assez cherché... -
-Théo dit qu'ils ne pouvaient pas chercher davantage. Lambert a fait non avec la tête." 

Le souffle du livre est fort, sombre et menaçant, comme les ciels d'orages, mais il y a des éclaircies et on se prend d'affection pour ce sculpteur et sa soeur, pour ce simplet et son rêve de pêche au requin, pour cette frêle gamine que tout le monde appelle la Cigogne et aussi pour ce M. Anselme qui vit dans le souvenir de Jacques Prévert qui a passé les dernières années de sa vie dans la région. 

Maison de J. Prévert
"Le cimetière où était enterré Prévert était tout près. On avait prévu de s'y arrêter et de poursuivre ensuite jusqu'à la maison du Val. Monsieur Anselme souriait. 
- C'est vraiment très bien que vous soyez là... 
Il faisait des projets pour une autre sortie. Il voulait que nous allions à Cherbourg pour acheter des tartes aux pommes. 
- 5, place de la fontaine ! Prévert faisait la route exprès, tous les mercredis ! Sa casquette à carreaux sur la tête. La patronne ne savait pas qui il était. Quand il est mort, elle l'a reconnu à la télé. Aux informations du soir. C'était mon petit client du mercredi ! elle a dit. 
Il s'est tourné vers moi. 
- Nous irons, n'est-ce pas ? 
- Je ne sais pas. 
Ça ne l'a pas empêché de sourire. 
- Si vous ne venez pas, j'irai seul et je ramène les tartes. 
C'était une belle journée de soleil. Les gens étaient dans les jardins, sur le pas des portes. Le linge séchait sur les fils.".

Au fil des jours, au fur et à mesure que le mystère du naufrage s'estompe, le deuil de la narratrice se fait lui aussi moins douloureux et offre la possibilité d'un nouvel amour. 

"Lambert a pris ma main. C'était une main large, chaude et confiante. Il a murmuré à mon oreille quelque chose d'infiniment doux, et on a rejoint ensemble le monde des hommes."

dimanche 27 juin 2010

Philippe Djian : SOTOS, Gallimard, NRF. 1993


Sotos Trois hommes, le fils, le (beau)-père, le grand-père, dans un combat grandement inspiré de la corrida. Un fils qui pour entrer dans l'âge adulte doit s'affranchir de la tutelle de son grand-père (faute de père), un beau-père qui doit réaliser le rêve de sa jeunesse, un grand-père qui doit maintenir sa toute puissance, non seulement sur la famille, mais sur la région. Mais quoi de mieux que de lire ce qu'en dit l'auteur lui-même :

"Pour moi, il est évident que la corrida est à la fois représentation des âges de la vie et de la manière dont on peut avoir une vision de la vie en général. Il y avait longtemps que j’avais envie de bâtir un livre là-dessus. Donc, par le fait de raccorder les tercios aux âges de la vie — parce que dans mon livre il y a un jeune, un homme d’âge mûr, et un vieux — par la manière qu’ont les personnages de voir la vie, on entre dans l’arène et on croit que tout va bien se passer, on est plein de force et de fougue. Puis on reçoit le premier châtiment... J’ai l’impression que la vie se passe un peu comme cela. Ça correspondait donc pour moi à une espèce de représentation un peu allégorique de la vie. Le côté littéraire a fait seulement que les tercios sont dans le désordre." 
© M. Darrieumerlou, Planétaires n°1457, 22/07/1993 

Autant vous dire que je n'ai pas aimé !

mardi 1 juin 2010

Thanassis Valtinos : PLUMES DE BECASSE, Actes Sud, 1994, Traduit du grec par Blanche Molfessis


Faites une recherche sur Google en tapant son nom, vous ne trouverez pas beaucoup d'informations en français.... Et pourtant, Thanassis Valtinos, né en 1932 dans le Péloponnèse, est l'un des romanciers Grecs contemporains que j'affectionne tout particulièrement et dont un bon nombre de romans ont été traduits et publiés chez Actes Sud ou chez Hatier. Thanassis Valtinos est également connu pour sa participation, en tant que scénariste, à la plupart des films de Théo Angelopoulos, dont je vous ai présenté, il y a peu, "Le voyage à Cythère".



J'ai choisi de vous présenter "Plumes de bécasse" parce qu'il s'agit d'un exercice de style périlleux, dont il se sort à merveille. Imaginez plutôt : sur 90 pages, se déroule une dispute homérique (dans le sens de mémorable) entre un homme et sa femme. Aucune description de l'endroit où ils se trouvent, aucune description du contexte, un long dialogue (mais peut-on encore parler de dialogue quand celui-ci est rompu à l'intérieur d'un couple) ponctué, comme pour alourdir encore l'ambiance, de continuels "....., dit Rania" et "...., dit Yannis". Aucune description donc, mais au bout du compte, un tableau féroce du mal-être de notre société, des frustrations ressenties de part et d'autres, de l'abrutissement dû au travail, et des difficultés à communiquer vraiment. 

Extrait : (p.52) 
  • "J'en ai marre, dit Rania. Tu essaies de me bousiller. 
  • Moi je n'essaie pas de te bousiller, dit Yannis. 
  • Tu as bousillé ma vie, dit Rania 
  • Moi jusqu'à la dernière minute, la toute dernière minute, j'essaie, dit Yannis 
  • Mon cul, dit Rania. 
  • J'essaie de te mettre dans le crâne que tu ne dois pas détruire ton ménage. 
  • Si tu crois que de cette façon, dit Rania. De cette façon tu vas me faire entrer dans ton jeu. 
  • Non, dit Yannis. Puisque je te propose de discuter. 
  • De cette façon, dit Rania. 
  • Puisque je te propose, dit Yannis. 
  • Avoue, dit Rania. Avoue que tu m'as fait du tort. 
  • Arrête de crier, dit Yannis. 
  • Ah oui, dit Rania. J'ai été heureuse avec toi. 
  • Pour commencer, arrête de crier, tout le monde nous entend. 
  • Je m'en fous, dit Rania. 
  • Toi, dit Yannis. Tu te fous de tout. 
  • Tu entends ? dit Rania. Je n'ai rien à cacher. 
  • De tes enfants, de ton foyer, dit Yannis. 
  • C'est ça, dit Rania. C'est pour ça que ça fait sept ans que je reste là à souffrir le martyre. 
  • A souffrir le martyre, dit Yannis. 
  • Sept ans. Parce que je m'en fous de mon foyer. 
  • Arrête, dit Yannis."
Et la dispute reprend de plus belle pour se terminer quelque 40 pages plus tard par : 

"Il laissa choir le pull, ouvrit la porte et s'en alla.
  • Merde, dit Rania.
Et elle se mit à pleurer furieusement."

samedi 29 mai 2010

Boris Vian : MADEMOISELLE BONSOIR, Le Livre de Poche, 2009

Après de nombreuses recherches pour réunir les feuillets multiples et épars du manuscrit laissé inachevé par Boris Vian en 1952, Le Livre de Poche a finalement édité, en 2009, la comédie musicale intitulée "Mademoiselle Bonsoir". 

Lassés de travailler à la rédaction du courrier du coeur d'un magazine, le responsable de la rubrique et sa secrétaire saisissent au vol le besoin d'un de leurs correspondants trop laid et trop timide pour trouver l'âme soeur, et décident de monter avec ce dernier, une entreprise peu banale. Il s'agit de proposer les services d'une demoiselle qui vient chez vous, le soir, pour vous chanter une berceuse, vous embrasser sur le front et vous permettre ainsi de vous endormir. On suit avec sympathie les ruses du monsieur trop laid pour arriver, lui aussi, à se faire embrasser. 

Si le thème est des plus simples, en revanche, il ne faut pas moins de 14 tableaux et 53 personnages pour en développer toute la saveur. Du malfrat accompagné de ses deux tueurs, au Duc della Biblioteca, académicien, en passant par une bande de clochards, Boris Vian dresse avec humour et tendresse, comme toujours, le portrait d'une société de consommation naissante où bientôt, tout va pouvoir se vendre et s'acheter. Il ébauche même, comme le relève M. d'Déé, dans sa préface, ce qui sera plus tard appelé télé réalité. 

Je me suis amusée à la lecture de cet ouvrage et je vous laisse découvrir ce qu'en disent les personnes qui ont travaillé à rendre finalement possible sa publication.