vendredi 27 avril 2018

Elena Ferante : L'AMIE PRODIGIEUSE, Gallimard, 2014


Tout a déjà été écrit sur ce roman qui rencontre un succès phénoménal (pour ne pas dire prodigieux...).

J'ai moi aussi, prix un énorme plaisir à le lire, car il sonne vrai. J'y ai retrouvé, comme beaucoup d'autres femmes j'imagine, les situations, les interrogations, les joies et les peines d'une enfance et d'une adolescence dans les années 50 et 60, car même si l'intrigue se passe à Naples, les sentiments exprimés sont certainement communs à toute une génération européenne.

La qualité du récit tient, il me semble, au fait que la narratrice ne nous fait jamais oublier qu'elle se rappelle de tout cela, elle garde donc une distance critique, notamment envers ses propres actions. 

L'ambiguïté du rapport amoureux créé par l'amitié profonde est toujours présent, et entre admiration et concurrence, entre émulation et envie - il n'y a pas là de jalousie - entre identification et affirmation de soi, on assiste à l'élaboration d'une personnalité.

Par ailleurs, les rapports sociaux et surtout la place des filles dans la société des ces années-là fonctionne comme le fil rouge du déroulement de cette histoire. 

"Rester près d'elle (sa mère). Je me dis : elle ne s'en rend pas compte, mais qu'est-ce qu'elle est contradictoire avec ses accès de colère et ses gestes impérieux ! Elle n'aurait pas voulu que j'étudie, mais puisque maintenant j'étudiais elle estimait que je valais mieux que les jeunes avec lesquels j'avais grandi et elle prenait conscience - comme d'ailleurs je le faisais justement moi-même en cette occasion- que ma place n'était pas parmi eux. Toutefois, voilà qu'elle m'imposer de rester près d'elle pour me sauver Dieu sait de quelle mer déchaînée, de quel gouffre ou précipice, autant de dangers qu'Antonio incarnait alors à ses yeux. Mais rester près d'elle signifiait rester dans son monde et devenir exactement comme elle. Et si je devenais comme elle, avec qui pourrais-je bien finir sinon avec Antonio ?"

Pour une fois, le succès n'a rien à voir avec une écriture facile et racoleuse et il est bien mérité. Et puis je veux encore ajouter que la photo de la couverture de l'édition Folio me fascine tant elle exprime la joie et la complicité des deux gamines.

Je me lance dans le deuxième tome.

mardi 17 avril 2018

Yanis Varoufakis : CONVERSATION ENTRE ADULTES, LLL, 2017


L'élection d'Alexis Tsipras avait fait naître en Grèce le fol espoir d'une sortie de la crise. Or après six mois de lutte acharnée dans le cadre des institutions européennes, il a bel et bien signé un troisième Memorandum, reniant ainsi les engagements qu'il avait pris et qui l'avaient fait élire. 

La déception d'abord, la colère suite à l'application de mesures d'austérité encore plus sévères et le sentiment que tout cela ne mène à rien, font que dans les conversations quotidiennes, Tsipras est traité de traître. Cela me choquait, car j'avais l'impression qu'il n'avait pas pu faire autrement et que la faute en revenait principalement à l'Europe et à son intransigeance, sans pour autant pouvoir mieux argumenter que le fameux "c'est de leur faute". 

Et bien ce livre de Varoufakis lève le voile sur ce qui s'est passé pendant ces six mois, non seulement dans le cadre des "négociations" avec la Troïka mais aussi au sein même du gouvernement grec et du parti Syriza. 

En tant que ministre des finances, Varoufakis a été au coeur des tractations et c'est par le menu, quasiment jour après jour, qu'il relate les faits et les dire de tous les participants à ce qui, malheureusement pour le peuple grec, n'était pas un jeu.

Et c'est ainsi que l'on apprend, de la bouche-même de Christine Lagarde : 

"Bien sûr, vous avez raison, Yanis. Les objectifs sur lesquels ils insistent ne peuvent pas fonctionner. Mais comprenez bien que nous avons trop investi dans ce plan. Nous ne pouvons pas reculer. Votre crédibilité dépend de votre accord et de votre participation à ce plan.
Et voilà. La directrice du FMI venait d'expliquer au ministre des Finances d'un gouvernement en pleine faillite que les politiques imposées à son pays ne pouvaient pas fonctionner. Elle ne disait pas qu'il était difficile de faire en sorte qu'elles marchent, ni que la probabilité qu'elles marchent était faible. Non, elle reconnaissait que, quoiqu'il arrive, elles ne pouvaient pas fonctionner."

Et pourtant, Varoufakis avait dès le début de son engagement auprès de Tsipras, un plan de "sortie de la Grèce de sa prison pour dettes" qui était selon lui l'objectif le plus important, ce qui fit l'obje, au sein du gouvernement, d'un pacte en cinq points et qui plus est l'engagement qu'aucun autre Mémorandum ne serait signé, "même s'ils nous menacent du Grexit". 

Six mois après ce qui s'apparente à un thriller politique et économique, Alexis Tsipras montre de découragement, et semble de plus en plus sous la pression de forces internes et externes au parti. Varoufakis veut croire jusqu'au bout qu'il tiendra bon, mais il sent bien que malgré le Non du référendum, Alexis ne tiendra pas face à la menace du Grexit, il démissionne.

C'est un livre édifiant sur la duplicité des hommes politiques de tout bord mais surtout sur la fragilité de la démocratie face aux puissance financières et un appel à redonner un sens commun à cette Europe.

Même si certains mécanismes économiques me restent encore un peu compliqués, c'est un livre plus politique qu'économique et il me semble que chaque citoyen européen devrait le lire. Il est grand temps que les populations se réapproprient cet outil.